"Ballistic, Sadistic"
Note : 17/20
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le thrash a le vent en poupe ces dernières années. Qu’il s’agisse de l’émergence de nouveaux groupes partout dans le monde comme de formations plus anciennes, il y en a pour tous les goûts.
Nous nous intéresserons ici au Canada où est né le groupe connu de tout amateur de thrash qui se respecte, Annihilator. Ils signent cette année un nouvel opus, "Ballistic, Sadistic", qui succède à "For The Demented" sorti trois ans auparavant. On constate une nouvelle fois qu’Annihilator ne sera jamais synonyme de beaux artworks mais qu’importe, le contenu est bien plus important.
Contenu qui a priori ne fait pas dans la dentelle !
Fidèle à lui-même, le groupe nous délivre "Armed To The Teeth", subtil mélange de riffs de guitare et de basse funky et entraînant et de solos rentre-dedans. Ajoutez à cela un break lourd comme un rouleau compresseur et vous obtiendrez ce titre terriblement entêtant.
Dans la même veine, "Psycho Ward" s’impose aisément comme le titre le plus groovy et le plus satisfaisant. Annihilator mêle les influences, les mélodies et les époques avec la plus grande décontraction et en assumant totalement le résultat, qui aurait pu être très risqué. C’est précisément ce que l’on attend d’un groupe de sa trempe et avec un passif comme le sien.
Ce morceau réunit le meilleur du groupe, le genre de composition où il nous est impossible de lui coller une étiquette. Le retour aux racines est bouleversant ! "I Am Warfare" est également, dans son genre, une grenade complètement homemade. Elle vous rappellera des morceaux comme "Human Insecticide", ou encore "Brain Dance" … Il sera donc difficile d’être déçu !
Annihilator frappe très fort, et semble plus en forme que jamais. Devrais-je dire plutôt Jeff Waters, à qui l’ont doit cet album dans son entier. Mégalomanie ou pur génie, à chacun d’en juger, mais le résultat est là. "Ballistic, Sadistic" n’a pas encore fini de nous surprendre.
Les plus thrashers d’entre nous trouveront chaussure à leur pied avec "Dressed Up For Evil" et ses riffs simples mais efficients où le phrasé si reconnaissable de Waters fait des merveilles et apporte toute son originalité au morceau. Le frénétique "The End Of The Lie" et son riff d’intro capable de dépasser le mur du son achèveront de les convaincre. Dave Mustaine et son "This Day We Fight" ont du souci à se faire ! A la seule différence qu’Annihilator conservera toujours son côté instrumental progressif un peu barré, et ce quel que soit le morceau.
Les passages de ce genre, qui sont à leur apogée sur des titres tels que "One Wrong Move", "Dressed Up For Evil" ou encore "Lip Service" sont incontestablement la valeur ajoutée la plus qualitative que l’on aurait pu imaginer sur un album comme celui-ci. Quarante-cinq minutes que l’on ne voit pas passer, et que l’on aurait voulu prolonger.
Le temps peut être le meilleur comme le pire ennemi d’un groupe de musique. Avec "Ballistic, Sadistic", Jeff Waters a su jouer avec et en faire son allié, à l’heure où il est difficile de se démarquer. Cet opus brille par son harmonie, fruit des influences qui font la marque de fabrique d’Annihilator, sans que l’on puisse se dire pour autant que le groupe se repose sur ses acquis. Un album à écouter et à apprécier sous toutes les coutures.
"For The Demented"
Note : 17/20
Annihilator est un groupe de heavy / thrash metal formé en 1984 au Canada. Il est composé de Jeff Waters (guitare lead / chant), Aaron Hamma (guitare rythmique), Rich Hinks (basse) et Fabio Alessandrini (batterie).
Leur seizième album "For The Demented" est sorti le 3 Novembre chez Nerverland Music / Silver Lining Music.
A un moment ou à un autre, Annihilator est un groupe qui a changé – même si ce n’est qu’un peu – la manière de percevoir le thrash à chaque fan du genre qui a écouté leurs disques pour la première fois.
Annihilator, ce fut une identité à part entière qui marqua les trois premiers albums de la formation canadienne. Le cours du temps et des événements a naturellement fait évoluer – ou parfois régresser – cette musique, ces riffs si particuliers qui caractérisent Annihilator. Beaucoup de musiciens se sont succédés, tous dirigés d’une main de fer par Jeff Waters, la tête pensante du groupe. Cette politique lui fit parfois du tort, et c’est sans doute une des raisons pour laquelle "For The Demented" fut co-produit et co-écrit avec le bassiste Rich Hinks, une première dans l’histoire du groupe. Waters le dit lui-même, un regard neuf ne peut pas faire de mal, particulièrement quand on est habitué à tout faire seul. L’objectivité finit par disparaître, pour laisser place à une certaine forme d’obstination… cette remise en question a-t-elle porté ses fruits pour "For The Demented" ?
"Twisted Lobotomy" introduit l’album, ou plutôt devrais-je dire, nous fout une giroflée à nous en décoller la tête. Il ne nous faut pas plus de deux secondes pour sentir dans le riff le thrash metal rentre-dedans mais mélodique tel qu’on pouvait l’entendre dans les débuts du groupe. Il enchaîne sans crier gare sur un rythmique à la limite du thrash / death façon Testament, où la voix de Waters se fait agressive et incisive telle une lame de rasoir. On ne fait certainement pas dans la haute technique et la subtilité, mais cette façon d’appréhender le thrash, à travers une batterie infatigable et une rythmique destructrice fait elle aussi mouche. Une vraie réussite toute aussi puissante en live, vous pouvez me croire !
"One To Kill" fait redescendre légèrement la pression, pour nous proposer un morceau aux influences légèrement plus modernes, axé autour d’un refrain parfaitement mené par Jeff Waters, qui semble être le maître dans la discipline des refrains entêtants. Et musicalement c’est toujours l’excellence, le talent admirable des musiciens est magnifié par une production impeccable, où l’atmosphère caractéristique du old school se mêle aux pouvoirs de la technologie moderne, pour créer une balance instrumentale parfaite. L’alliance Waters-Hinks semble faire des merveilles, et on vous rassure, ça ne s’arrête pas là ! Les deux compères partent puiser dans les ressources inépuisables de "Set The World On Fire" (1993) avec "The Demon You Know" qui est la descendance directe de "Knight Jumps Queen". Entre riffs heavy / thrash, ligne groovy de basse sur chant clair un peu excentrique, on se croirait être revenus trente ans en arrière. Attention toutefois à ne pas trop s’inspirer des fers de lance de l’ancien temps…
Je classe "For The Demented" dans la même catégorie, l’instrumental fondamentalement heavy / thrash mélodique imprégné d’un certain groove, intégré dans une structure technique et particulière nous rappelle irrémédiablement cette même époque. Comme un petit air de "Brain Dance"… Cependant, tout comme "One To Kill" ou encore le très bon et original "Altering The Altar", celui-ci s’émancipe en partie et apporte un nouveau regard, une nouvelle perspective du travail d’Annihilator. Des alliages du passé et du présent, de thrash pur au thrash groovy-funky au son heavy, de solos recherchés et réfléchis si cher à Jeff… Il est rare de parvenir à un tel équilibre, et le groupe a relevé le défi avec brio.
Celui-ci pousse le vice jusqu’à incorporer une structure punk au titre "The Way", créant un décalage certain avec le reste de l’album, qui est déjà bien coloré !
Cependant, les morceaux les plus intéressants selon moi sont "Phantom Asylum" en premier lieu, qui, par la force des différents riffs et rythmiques, nous transporte dans des ambiances très particulières et un poil dérangeantes, tout comme le titre du morceau le laisse entendre. Le bridge en guitares claires apporte une dimension aérienne et onirique, comme si nous nagions en plein rêve cauchemardesque, où il faudra cependant attendre un peu pour en sortir. Mention spéciale aux solos de Waters, qui assoit toujours plus sa réputation de tueur à la guitare, et force mon respect.
Le second morceau qui selon moi mérite les honneurs est incontestablement "Not All There" qui, dans un tout autre registre, mêle les atmosphères et les genres, en toute tranquillité et de la plus subtile des façons. Malgré son apparente complexité, on retient assez facilement la mélodie – celle du refrain ne mettra pas longtemps à s’insinuer sournoisement dans notre esprit -, signe que d’un certain point de vue c’est un morceau plutôt réussi. Et ça ne s’arrête pas là… Une partie instrumentale vient s’immiscer sans que l’on s’y attende, introduite par un jeu de basse funk suivi de guitares à la légèreté et la finesse émouvante. Le point culminant arrive au solo à deux guitares, court mais poignant, pour finalement revenir à la structure de base, comme si rien de tout cela n’avait existé. Déroutant… est-ce du génie, ou un confus patchwork d’explorations musicales ? "Not All There" étant le dernier morceau de l’opus, cela vous laisse le temps de méditer !
A ce stade, je n’appelle plus cela un retour en force, mais une arrivée royale où l’on peut dérouler le tapis rouge sans honte. "For The Demented" est une réussite. Si on retrouve un peu trop la nostalgie de l’ancien temps, cela n’est pas gênant outre mesure, car le génie créatif de Jeff Waters et Rich Hinks est tout de même bien présent et affirmé. Entre clins d’œil au passé, exploitation du présent et excellence musicale, chaque auditeur y trouvera son compte, et particulièrement le die-hard fan d’Annihilator !
"Suicide Society"
Note : 16/20
Annihilator et les changements de line-up, c'est une vieille histoire. "Stable" depuis 2004 avec la présence au chant de Dave Padden, le chanteur a quitté son comparse Jeff Waters l'année dernière pour pouvoir passze plus de temps auprès de sa famille. Cela nous a profondément déçus (d'un point de vue artistique cela s'entend ; le choix de Padden est bien sûr respectable), car Padden était un excellent frontman et sa voix collait à merveille au destructeur canadien.
Jeff Waters a donc repris les reines du chant sur ce "Suicide Society", reines qu'il dirigeait sur trois albums, de 1994 à 1997. Aidé par Mike Harshaw aux fûts, déjà présent sur "Feast", Waters a composé neuf nouveaux titres de thrash / groove Metal robotique et mélodique. Il est a parier que beaucoup de personnes n'apprécieront pas le chant de Waters et ne donneront pas sa chance à l'album. Son chant se veut très mélodique et quelque peu jovial, voire niais. Pas mauvais du tout, ce ton plutôt enthousiaste contraste avec le passif du groupe, sombre et désenchanté mais aussi avec les paroles, toujours aussi pessimistes. Les lignes vocales portent le sceau d'Annihilator sans aucun doute, l'interprétation de Waters a simplement moins de mordant que celle de Padden.
Ce chant enjoué va de paire avec des compositions très mélodiques voire "radio friendly" dans l'approche. Classiques dans leurs formes (on reste dans du thrash bien technique et affilé), ces titres au ton enjoué dénotent avec la discographie du groupe mais apportent une fraîcheur bienvenue à "Suicide Society". Le pari nous semble donc réussi comme sur le très bon morceau-titre qui ouvre l'album. Le morceau suivant, "My Revenge" est du thrash pur jus et est réminiscent d'un certain "Damage Inc", riffs et lignes vocales des couplets compris. Les harmonies vocales de "Snap" feront crier au scandale les puristes mais passé la surprise, on adhère facilement. Ce titre, quant à lui, évoque le "Ich Tu Dir Weh" de Rammstein, avec son riff martial et mécanique, qui sied bien à Annihilator. "Creepin' Again" est un autre super morceau speed / thrash aux riffs décapants mais dont le refrain est copié/collé sur celui de "Clown Parade" (sur l'album "Metal" en 2007). On peut se demander comment un tel groupe avec une telle carrière et une identité musicale et un statut si affirmés peut commettre de telles grossièretés d'écriture mais on pardonne car le reste de l'album est très personnel et abouti.
Waters propose un panel de morceaux plutôt variés aux nombreuses petites subtilités et sophistications, faisant que nous ne nous ennuyons jamais. Le thrash mélodique de
"Narcotic Avenue" retourne les esprits avec une pluie de riffs et solides à la précision et à la technicité folles. Le rampant et ténébreux "The One You Serve" est une réussite éclatante dans un registre inédit pour Jeff Waters. "Death Scent" rappelle "Like Father, Like Gun" sur "Schizo Deluxe". C'est un mid-tempo qui s'enroule lentement et sûrement autour de vous tel un constrictor et vous étouffe. Le ton décalé, par rapport à l'ambiance maudite du morceau, de Waters sur le refrain, donne un sentiment ironique de délectation du mal. Le break, suivi du solo, est terrible ; l'ambiance y est défaitiste et suffocante pour un résultat incroyable. L'album se referme sur "Every Minute", une semi-ballade amère où Waters exprime des sentiments personnels. Une curieuse façon de clore le disque mais laisse l'opportunité de souffler et d'entrevoir une petite pointe de lumière.
Sur ce quinzième (!) album studio, Annihilator fait du Annihilator, sous une parure un peu plus clinquante que d'habitude, mais toujours d'une qualité supérieure. Jeff Waters reste maître de son bébé en toute circonstance et ne faiblit pas avec ce nouvel album, proposant une alternative intéressante et risquée à l'ère Padden qui, apparemment, est vouée à durer un certain temps. Annihilator a encore de beaux jours devant lui.
"Feast"
Note : 16/20
L'année prochaine, ça fera 30 ans que Annihilator existe, et on peut supposer que ça ne passera pas inaperçu, qu'une sortie d'album ou d'ultra box de fou verra le jour... 30 ans... Il y a des groupes increvables, sérieux... Et le groupe de Jeff Waters en fait partie...
Enfin voilà , été 2013, mois d'Août 2013, le quatorzième album d'un groupe de thrash mythique... Oh bien sûr pas un groupe qui a eu la célébrité d'un Metallica, d'un Slayer, d'un Megadeth, d'un Anthrax, ou d'un Testament ou d'un Exodus... Mais ce n'est certainement pas parce qu'ils sont canadiens et pas américains, non ; par contre peut-être que ce trop plein, ce débordement de riffs à fournir sur la quantité et pas tout le temps sur la qualité a joué dans la balance de la célébrité.
Evidemment que "Alice In Hell" et "Never, Neverland" (à tout jamais subjectivement le meilleur album du groupe) sont des chefs d'oeuvre qui, placés dans leur époque (bien que "Never, Neverland" soit intemporel), font office de référence. Mais il faut reconnaître objectivement que Annihilator a écrit des albums aux performances nuancées au cours de sa carrière, ils n'ont pas tous été des monstres de bon goût à commencer par "Remains"...
Mais Annihilator est culte, à 90% ce sont des bombes thrash atomiques qui ont été écrites et ce groupe est une des grosses pointures encore debout après tout ce temps et vu le contenu de ce "Feast", ça montre un peu ce que Jeff Waters a encore dans le ventre et qu'il déborde d'énergie.
La production de l'album est alléchante avec une batterie au taquet, un son de guitare puissant et des riffs sous LSD. La pochette est plutôt sympa (même si elle reste dans la continuité de la folie des pochettes de Annihilator, avec un jeu de couleurs proche de celle de "All For You") et surtout les neuf morceaux de l'album sont magnifiquement groovy, écrits avec un esprit hyper frais.
Le groupe revient trois ans après "Annihilator" et a donc pris son temps pour écrire des brûlots dignes de ce nom.
C'est sur une tonalité hyper agressive que l'album démarre avec "Deadlock" qui ouvre un bal qui ne baissera d'intensité qu'à la fin des quarante neuf minutes.
On sent la rage, une rage thrash qui se poursuit sans relâche sur les trois premiers titres, avec une mention particulière sur "No Way Out" qui respire les plans typiques et reconnaissables de Annihilator. Des plans de guitare très légers, rapides, mélodiques qui sont plus ou moins une des signatures uniques de Jeff Waters.
A partir de "No Surrender", on s'aperçoit que l'album va commencer à s'aérer et se diversifier. Le style de ce morceau se fait hyper funky/fusion avec une introduction et des breaks qui donnent la parole à une basse en mal de slaps.
Mais ce qui est parfait sur ce "Feast", c'est que malgré les ouvertures vers des styles moins metal, le tout reste totalement cohérent, avec une consonance bien évidemment thrash en priorité, mais pas fermée pour autant.
C'est pourquoi on aura une "Wrapped" très punk / rock, tournure prononcée également par la présence au chant de Danko Jones, invité sur le morceau pour le coup. Ou encore une splendide balade "Perfect Angel Eyes" ce qui est plutôt rare chez les groupes de thrash. Overkill en avait fait une sur "From The Underground And Below" et Annihilator eux mêmes en avait déjà fait une...
Bref, ce "Feast" sent bon la jeunesse, il est dynamique, présente bien, possède une grosse agressivité, une forte personnalité, et Annihilator n'en n'a pas oublié la mélodie. C'est le cas sur le début de "Fight The World", et pourtant l'introduction ne pouvait laisser transparaître la furie qui suit dans le même morceau.
"Feast" est un de ces albums chez Annihilator qui mène le groupe en haut du panier, un album qui nous rappelle les débuts du groupe avec toute la détermination qu'il pouvait avoir à l'époque. Du grand Annihilator tout simplement.
Il faut savoir qu'en plus dans la version digibook limitée, l'album s'accompagne d'un second cd, composé de pas moins de quinze titres pour une heure et onze minutes de plaisir. Ces titres sont des réenregistrements réalisés en 2012, de chansons d'Annihilator issues pour la plupart des vieux albums du groupes mais où "Never, Neverland" a la part belle, et qui passent par "Set The World On Fire", "Refresh The Demon", "Alice In Hell", "Criteria For A Black Widow", "Carnival Diablos" ou "Waking The Fury", avant l'arrivée de Dave Padden. Un peu comme Arch Enemy a fait en fait avec "The Roots Of All Evil"...
Avec "Feast", Annihilator montre à la planète entière qu'il est un grand groupe de thrash, qui sait jouer, qui sait se mettre en colère et qui sait être généreux... Assurément un album du groupe à placer parmi leurs meilleurs.
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