"Algorythm"
Note : 17/20
Lorsque l’on évoque “Québec” et “death progressif”, l’un des deux noms principaux qui vient
à l’esprit des plus aguerris, c’est Beyond Creation. Formé en 2005 par Simon Girard
(guitare / chant), Dominic Lapointe (basse), Guyot Begin-Benoit (batterie) et Nicolas
Domingo-Viottot (guitare) le groupe cherche à mêler death technique et progressif poussé
à l’extrême. Cependant, Nicolas cède sa place à Kévin Chartré (Brought By Pain,
Ultyma, Unhuman) en 2007. Le premier EP sort, suivi du premier album, mondialement
acclamé. Guyot est remplacé par Philippe Boucher (Chthe'ilist, Décombres,
Incandescence, ex-First Fragment, ex-Vengeful) en 2012 et deux ans plus tard c’est le
deuxième album qui sort. Encore un changement de line-up l’année suivante : Dominic est
remplacé par Hugo Doyon-Karout (Brought By Pain, Conflux, Equipoise, Unbeing), et
c’est avec ce line-up qu’est composé "Algorythm", le troisième et dernier album de la
formation. Si vous êtes musicien, préparez-vous à prendre une leçon. Sinon, préparez-vous
à prendre deux leçons.
L’album débute sur "Disenthrall", un titre instrumental qui joue avec les samples et les
orchestrations pour un rendu très guerrier. A ce premier morceau succède "Entre Suffrage Et
Mirage". C’est un blast furieux, des hurlements puissants et une rythmique aussi technique
que massive, surmontée de la basse d’Hugo qui nous déboule dessus à toute allure, et il est
absolument impossible d’y résister. Chaque instrument a sa place dans le mix, et le son du
groupe est aussi incisif d’excellent. Pourtant assez réfractaire au chant en français, je trouve
que cette fois-ci il n’est absolument pas dérangeant. Une fois remis de cet ouragan avec le
passage plus calme et dissonant à la fin, c’est un riff aérien mais déjà technique qui
progresse lentement pour "Surface’s Echoes". Et vous n’avez aucune crainte à avoir, car la
violence n’est jamais loin, avec un jeu saccadé puis massif qui s’abat sur nous sous une
pluie de double pédale. La performance est saisissante, et entraînante au possible.
On enchaîne avec "Ethereal Kingdom" et son intro inquiétante qui ne manquera pas d’éveiller
les soupçons. Un tapping enflammé débute alors, et je me perds littéralement dans la
contemplation de cette succession de notes alors que Simon commence déjà à hurler. Le
groupe réussit à mettre tous les instruments en avant sans pour autant en effacer sur ce titre
plus calme que les autres, alors qu’"Algorythm" s’axe sur le duo de guitares qui alignent des
harmoniques planantes avant de revenir sur une rythmique imposante et qui force le
respect. Même lors du break, ce sont les guitares qui échangent entre elles. Petit interlude
au piano pour "À Travers Le Temps Et L’Oubli", et quelques orchestrations qui débouchent
sur "In Adversity", un titre aussi violent qu’étrange. Très saccadée, la rythmique incorpore des
harmoniques aériennes, presque spatiales, mais ce qui me choque c’est également la durée
de ce titre. A peine plus de trois minutes, mais parfaitement exploitées et sur lesquelles tout
l’univers du groupe ressort.
On reprend avec "The Inversion" qui met la basse fretless d’Hugo à l’honneur pendant que
les autres musiciens déploient une rythmique truffée d’harmoniques hypnotiques sous un
blast discipliné. Lorsque le chant arrive, il n’y a aucune perte de puissance, et il en sera de
même lorsque la structure changera pour s’axer définitivement plus sur le côté prog du
groupe. Le groupe revendique également des influences jazz, et elles sont plus que
palpables sur "Binomial Structures", le titre suivant. Si l’introduction est plus qu’évidente à ce
sujet, le reste de la composition en sera tout de même fortement influencé. Sans aucun éclat
de voix, le groupe développe une composition qui met en valeur le travail de chacun des
musiciens dans un effort collectif intense. Les Canadiens mettent la touche finale à cet album
avec "The Afterlife", un titre qui joue sur les sonorités dissonantes et une rythmique lourde afin
d’enfoncer une dernière fois le clou. Si vous pensiez que le groupe s’était ramolli après
l’instrumentale, vous aviez tort. L’orchestration finale clôt ce chapitre.
Alors que je conçois que trop de technicité puisse tuer l’âme d’une chanson, Beyond
Creation est loin de ce constat : les musiciens mettent tout leur coeur dans leur jeu, et il est
difficile de ne pas le sentir. Un condensé de puissance, de maîtrise et un son sublime pour
ce troisième album, c’est tout ce qu’il faut retenir d’"Algorythm". Mais il ne faut pas se limiter à
la seule écoute de l’album, puisque le groupe va partir sur les routes européennes dans
quelques jours !
"Earthborn Evolution"
Note : 15,5/20
L’exercice de la chronique de disque peut parfois s’avérer difficile. Et c’est d’autant plus délicat lorsque notre objet d’étude se trouve être un album de tech death. L’attention peut très vite retomber, l’intérêt peut très vite disparaître. Bien qu’étant en vogue, ce style demeure une musique élitiste où seuls les plus persévérants resteront accrochés. Deux choix s’ouvrent à l’auditeur : soit la haute technique des musiciens et la phénoménale complexité de la musique le laissent pantois et le captivent, soit elles l’indiffèrent et l’ennuient profondément, voire même le blasent. De l’autre côté du miroir, la dualité d’approche musicale se présente comme suit : ou le groupe propose une musique indigeste, stérile et voit la technicité et la démonstration comme une fin, soit le groupe voit ses capacités comme un outil et met son bagage technique au service de sa musique et son œuvre. La balance entre les deux mondes est très souvent déséquilibrée en faveur de la première affirmation, il faut bien l’avouer.
On ne présente bien entendu plus la scène technique québécoise, née sous le signe du thrash avec Voivod et tous ses disciples (Obliveon, Razor, Sacrifice, Slaughter…), puis mutant naturellement avec l’avènement du metal extrême vers les contrées plus escarpées du death metal dont Gorguts, Quo Vadis, Neuraxis et Martyr ont étés les pionniers. Le Québec a toujours été une terre d’exception en ce qui concerne le metal, plus particulièrement sa frange la plus complexe et progressive. Cette scène a toujours été occultée par ses grandes sœurs américaine et suédoise, mais n’en reste pas moins bien connue et appréciée des connaisseurs de fine brutalité. L’un des derniers rejetons de cette grande famille se nomme Beyond Creation a fait parler de lui lors de la sortie de son premier album "The Aura", paru en 2011, et avait déjà récolté des avis franchement opposés. La troupe menée de front par l’énorme Forest aka Dominique Lapointe à la basse Fretless 6 cordes (également chez les énormes et sous-estimés Augury), le guitariste Kévin Chartré et le chanteur-guitariste Simon Gerard, a accueilli dernièrement un nouvel animal de compagnie, je veux parler de la pieuvre Philippe Boucher, qui m’a rendu vert ! (à seulement 25 piges et avec un talent pareil, y’a de quoi être jaloux)
Alors à l’heure du constat, pouvons-nous dire que nos cousins ici en question sont allés au-delà de la création et proposent autre chose qu’un cours supérieur d’algèbre appliqué ? La solution à ce problème n’est pas si évidente que cela. Parlons tout d’abord de la production. Dans ce style musical, il est primordial qu’elle soit irréprochable, et c’est bien le as ici. Ultra-puissante et hyper-précise, la prod' se veut massive et claire, et fait ressortir les nombreuses couches de guitares et la moindre petite frappe de cymbale ride, le moindre coup de caisse claire. La performance est bien entendu de haut-vol et on a peine à croire qu’il s’agit de véritables personnes jouant des plans aussi complexes et déstructurés, et pourtant… "Earthborn Evolution" est-il donc autre chose qu’un album de musiciens pour les musiciens ? Comme je l’ai dit juste avant, la réponse est ambigüe. "Elusive Reverence" frappe pourtant très fort et démarre ce disque de la plus belle façon, la pluie de notes se déverse sur nous mais conserve une cohérence musicale et une retenue (s’il on peut dire) technique appréciable pour nous faire rentrer dans le bain de la façon la plus "confortable" possible. Les riffs brutaux et efficaces ont cette patte death reconnaissable et la batterie blaste comme une armée de petits lapins Duracel. Si vous aimez la batterie, vous serez servis. Le second titre "Sous La Lueur De L'Empereur" (chanté en français) est tout aussi brutal mais est plus difficile à appréhender de par ses nombreuses cassures rythmiques, ses breaks incessants et son pont mélodique. L’affiliation avec Obscura est évidente, la similarité des riffs est là, mais les guitares 8 cordes (oui, je sais, c’est désespérant…) donnent une autre couleur aux compos de Beyond Creation. On pense également, et c’est normal, à Augury, pour la signature rythmique et le style de jeu du bassiste, mais également pour ce choix vocal multi-facette, tantôt profond et grave (quoique banal), tantôt criard et plutôt tarée.
De même que la batterie, les bassistes seront aux anges en écoutant les pérégrinations de Forest tout au long de ce titre et sur le reste de l’album. Il serait dommage que la basse ne soit pas mise en valeur au vu du talent fou du bonhomme. C’est d’ailleurs par une superbe intro de basse que débute le troisième titre, éponyme. Un titre plus mid-tempo que les deux autres et très intéressant et mieux pensé et cohérent que la plage précédente. Mais c’est malheureusement à partir de là que le bât blesse. Le milieu de l’album représente son ventre mou. Si les compositions renfermement de très bond passages ("Neurotical Transmissions", le final de "The Great Revelation"), on perd malheureusement sa concentration au milieu de cette débauche instrumentale, qui s’avère quelque peu désordonnée et inintéressante (l’instrumental "Abstrait Dialog" ne sert pas à grand-chose). Il faudra attendre les deux derniers morceaux-fleuves de l’album pour retrouver la superbe du début de l’album. "Theatrical Delirium" et "Fundamental Process" sont deux pépites death progressives superbement écrites et agencées. Leur aura plus sombre et menaçantes et leurs progressions fluides concluent avec réussite ce "Earthborn Evolution".
Cet album prouve que, malgré quelques lourdeurs et écart, il y a encore un beau terrain à défricher dans le domaine du technical death à tendance prog et jazz / ambient ; cette musique, dans le cas des Québécois, peut encore toucher l’âme. Il faudra, comme à l’accoutumée avec les autres productions de ce genre, de très nombreuses écoutes attentives et minutieuses pour assimiler toute la substance de "Earthborn Evolution", au potentiel énorme. Mais il est probable qu’il en ira de même pour la perception de ce disque que pour les autres : ceux qui aiment le style aimeront, les autres passeront leur chemin.
"The Aura"
Note : 19/20
Mesdames et Messieurs, si comme beaucoup, 2013 vous a déçus, non pas par son nombre renversant de sorties en tous genres, mais surtout par la qualité relativement moyenne des disques proposés, ne perdez pas espoir car c’est pendant cette année que les Québécois de Beyond Creation ont fait leur grande entrée sur la scène death metal technique avec leur premier album des plus réjouissants : "The Aura" distribué par Season Of Mist.
Tiens donc, en voilà donc une introduction enthousiaste (pour une fois). Cet album en vaut-il tellement la peine, vous direz-vous ? Inutile de tourner autour du pot, la réponse est mille fois oui. Doté d’un artwork détaillé et moderne, composé de dix titres et d’un titre bonus pour une durée totale s’approchant de l’heure complète, le CD se lance en puissance avec "No Request For The Corrupted". Une grosse claque dans la face, rien de plus ni de moins. Enfin, rien de plus, façon de parler. En effet, là où tant de groupes tombent dans le piège d’essayer de proposer l’album le plus brutal et le plus complexe du monde et où le résultat n’en est la plupart de temps qu’une bouillie bruyante et indigeste au possible… "The Aura" va plus loin en proposant des lignes de basses bien plus élaborées que ce qui se fait d’habitude dans le milieu, ainsi que des compositions bien plus réfléchies et construites. Certes, la brutalité est bien présente sur l’album, mais pas que : de nombreux interludes progressifs ponctuent les morceaux et apportent au tout une légèreté non négligeable. Les parties vocales se diversifient également au fil des titres, et quelques soli et passages catchy apportent leur touche à ce mélange déjà très riche, à l’instar de la culture du pays. Pas besoin de citer un titre en particulier tellement chacun est unique en son genre et mérite qu’on y prête attention !
Chers métalleux, et fans d’extrême en particulier, si vous êtes passés à côté de "The Aura" de Beyond Creation en 2013, vous pouvez toujours vous rattraper dès à présent car honnêtement, il s’agit bel et bien d’une des meilleures sorties de l’année dans le milieu. Vivement la suite en tout cas !
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