"Heavy Rocks"
Note : 17/20
Boris laisse libre cours à sa folie avec un nouvel album. Depuis 1992 au Japon, le trio
composé de Takeshi (guitare / basse / chant, ex-Tacos UK), Wata (guitare / chant) et Atsuo
(batterie / chant, Ensemble Pearl, Sunn O))) en live, ex-Tacos UK) crée un son aux
multiples influences. Le groupe annonce pour l’été 2022 la sortie d’"Heavy Rocks", son
trente-troisième album (et deuxième de l’année), qui n’est pas sans rappeler un album sorti
en 2002.
Le groupe a reçu l’aide de Sugar Yoshinaga (Buffalo Daughter, Metalchicks) ainsi que
Kazuya Wakabayashi pour certaines parties.
L’album débute sur les chapeaux de roue avec "She Is Burning", un titre à l’énergie très punk
qui nous offre des leads chaotiques sur des riffs efficaces et gras. Les parties vocales sont
également très motivantes, faisant écho à ce saxophone endiablé avant que "Cramper" ne
nous offre des refrains fédérateurs remplis de choeurs. On notera également quelques
sonorités plus inquiétantes qui se joignent à la rage débordante du morceau, tout comme
sur "My Name Is Blank", un titre assez court qui propose une simplicité très accrocheuse
couplée à des parties vocales entraînantes. Une fois de plus, les harmoniques criardes
apportent une dimension dissonante au morceau, qui nous mène à "Blah Blah Blah" et son
introduction… dérangeante. Des bruits stridents, puis une basse pesante qui laissent un
chant inquiétant nous envelopper avant que des hurlements ne s’invitent au mélange, suivis
par des influences doom étranges, puis "Question 1" fait revivre l’énergie brute.
Le groupe
n’oublie pas ses racines drone dissonantes tout en les couplant à des sonorités étranges et
entêtantes, qui finiront par exploser, nous laissant un court répit avant que "Nosteratou" ne
fasse ralentir le tempo avec un son gras et écrasant. Les voix fantomatiques intègrent le
mélange onirique avant que "Ruins" ne dévoile des éléments plus accessibles, motivants et
presque enjoués sur une base brute et énergique. Le contraste est extrêmement efficace
tout en restant assez déconcertant pour une oreille non-habituée, tout comme "Ghostly
Imagination" et ses influences industrial modernes qui se mêlent facilement au blast lourd et
puissant. "Chained" reste dans ce mélange chaotique entre chant envoûtant, cris viscéraux et
riffs perçants sur une base vive, puis "(Not) Last Song" viendra nous surprendre avec une
quiétude mélancolique, des claviers et des cordes torturés, mais également des parties
vocales désespérées pour clore l’album.
L’avantage avec Boris, c’est qu’il est impossible de savoir à quoi s’attendre d’un titre, et
encore moins d’un album. Pourtant, le groupe réussit à nous prouver sa maîtrise du son, et
"Heavy Rocks" en fait partie, mêlant énergie brute avec des tonalités plus mélancoliques
et travaillées.
"W"
Note : 16/20
Boris a trente ans. Pour l’occasion, Takeshi (chant / guitare / basse, ex-Tacos UK), Wata
(guitare / chant) et Atsuo (chant / batterie, Ensemble Pearl, ex-Tacos UK, anciennement live
pour Sunn O)))) sortent "W", leur trente-deuxième album.
L’album débute avec "I Want To Go To The Side Where You Can Touch…", une composition à
l’introduction éthérée qui nous envoûte immédiatement tout en plaçant une dissonance
oppressante et une lenteur lancinante, puis les voix terrifiantes en arrière-plan nous mènent
à "Icelina", un titre plus doux et planant. Le chant est aussi inquiétant que rassurant, et ces
murmures surmontés des riffs lents et minimalistes créent une ambiance très spéciale, qui
sera enterrée par "Drowning By Numbers" et sa folie évidente. Des éléments prog se joignent
à ce chant couvert par des éléments aériens, puis "Invitation" reste dans les mêmes tonalités
entêtantes et inquiétantes qui restent rassurantes avant que "The Fallen" ne vienne apporter
une dose de saturation abrasive au son du groupe.
Les influences drone couplées aux
sonorités dissonantes agressives nous écrasent avant que "Beyond Good And Evil" ne vienne
nous apaiser avec ce chant si doux qui laisse le son clair donner progressivement naissance
à une saturation explosive et épique. La quiétude règne paisiblement sur le titre avant que la
dissonance ne revienne, laissant finalement place à "Old Projector" et son agressivité
sous-jacente. Le titre veut exploser, mais il ne le fera pas avant la fin, qui nous mène
paisiblement à "You Will Know (Ohayo Version)" et sa quiétude aussi planante que pesante.
Le long morceau noie sa saturation sous des sonorités douces, créant un contraste aussi
intéressant que perturbant, qui prend fin avec l’arrivée de "Jozan", le dernier titre, qui nous
offre une courte expérience avec des harmoniques prenantes mais dissonantes.
Si vous ne le saviez pas, Boris n’a aucunes limites musicalement parlant. Si le groupe est
connu pour son drone / doom agrémenté d’une folie brute, "W" va vous faire comprendre que
rien ne limite le groupe japonais.
"No"
Note : 17/20
Je vous ai probablement déjà parlé de la productivité à la japonaise, et Boris ne fait pas
exception à la règle. "No" est donc le trentième album du groupe, formé en 1992. On retrouve
Takeshi Ohtani (basse / guitare / chant), Wata (guitare / chant) et Atsuo Mizuno
(batterie / chant) pour un mélange de styles aussi complémentaire qu’improbable.
Un album de Boris ne s’écoute pas, il se vit. Entre doom, sludge, hardcore, drone, punk et
diverses influences, les titres se suivent et ne se ressemblent absolument pas. On peut citer
par exemple "Genesis", un titre instrumental long, lourd et oppressant, qui va énormément
différer d’"Anti-Gone", un morceau saturé, perçant et dissonant dans une tradition de
punk-hardcore que le groupe manie à merveille. On continue dans cette lancée avec Non
Blood Lore , un titre vif et vindicatif rempli de larsens. Et cette recette est entraînante, la rage
des Japonais est communicative. Nouvelle dose d’énergie brute, "Temple Of Hatred" pioche
dans un punk crasseux et saturé. Le combo repart dans la langueur noire et oppressante
pour "鏡 -Zerkalo-", un titre écrasant qui ne perd pas une occasion de mêler larsens avec riffs
lourds, à l’opposé total de "HxCxHxC -Parforation Line-" et sa rythmique post-hardcore
planante, douce et aérienne. Un contraste total donc, mais qui sied à la perfection au
groupe, qui enchaîne sans prévenir avec "キキノウエ -Kiki No Ue-", un morceau très
énergique et gras. La rythmique est rageuse, mais efficace, rapide et lourde, mêlant des
touches punk et stoner avant de laisser place à "Lust", un titre un peu plus psychédélique.
A
nouveau une rythmique énergique, mais on retrouve cette dissonance, cette oppression et
pourtant on ne peut s’empêcher d’adhérer à ce son. Le groupe invite le guitariste Katsumi
Sugahara (Solmania , ex-Outo, ex-City Indian) à reprendre avec eux "Fundamental Error",
un morceau des légendaires Gudon, groupe de punk hardcore japonais. Et l’énergie
originelle est parfaitement conservée pour ce vibrant hommage ! On approche de la fin avec
"Loveless", un titre qui fait à nouveau se rejoindre la rage du punk et des sonorités aussi
entraînantes que lourdes, peuplées de leads perçants. Le trio vocal fait à nouveau mouche,
et c’est après quelques larsens que le groupe enchaîne avec une partie planante, puis
embraye sur "Interlude", le dernier titre. Doux, aérien, léger, et seulement quelques
interventions d’une voix féminine pour conclure l’album.
Boris ne déçoit jamais. "No" est évidemment un album surprenant, qui peut désorienter par
moments, mais qui reste cohérent avec l’énorme variété de sons du groupe. Un album de
Boris est une expérience, et celle-ci est extrêmement plaisante et qualitative, surtout quand
on sait que les morceaux ont été composés en réaction à la situation mondiale actuelle.
"Noise"
Note : 18,5/20
Si comme moi vous avez passé les dix-huit dernières années dans votre grotte et que vous aviez raté Boris jusqu’ici, "Noise" sera une excellente introduction à cette formation. D’aucuns le considèrent en effet comme leur album le plus accessible à ce jour, au sein d’une discographie plutôt titanesque.
Si le groupe n’a eu de cesse depuis ses débuts de multiplier les expérimentations à la recherche de sons extrêmes et novateurs, la couleur dominante de "Noise" serait plutôt ambient / atmos, avec beaucoup de réverbérations, des voix qui semblent nous parvenir de très loin et des notes torturées qui s’étirent à l’envi. Même dans les moments les plus énervés, le tout reste incroyablement planant. La technique se mêle à la spontanéité, la structure se frotte au chaos, pour former un maelström assourdissant et mélodieux à la fois.
Après un démarrage en force sur les deux premiers titres, "Ghost Of Romance" réinstaure le calme, porté par une des deux voix masculines, caressante, excellente dans les aigus. Cette douce torpeur s’étend sur "Heavy Rain" où Wata au chant est des plus touchantes, mais toujours soutenue par un solide mur de grattes et sur les fûts, une frappe lourde et parcimonieuse. Ensuite, virage radical avec la très pop-rock "Taiyo No Baka" qu’on verrait bien en générique d’un anime et qui pourrait passer pour une intruse au milieu des autres compos si elle n’était pas aussi rafraîchissante et bien fichue. Vient alors "Angel", pièce centrale de près de dix-neuf minutes, que je me refuse à décrire pour ne pas vous gâcher votre plaisir. Tout simplement magistrale.
Et alors que vous aviez atteint cet état second où tout n’est que plénitude, l’enchaînement sur le speedcore de "Quicksilver" vous fait sauter au plafond. Hurlements hystériques doublés de chuchotements psychopathes, guitares abrasives en roue libre, batterie si basique mais si efficace, et toujours ces breaks par milliers, et ces envolées en chant clair, et cette outro doom pour atterrir. Bref, l’auditeur fait trois tours dans son slip, il ne sait plus comment il s’appelle, et il faudra bien le calme après la tempête qu’est "Siesta" pour le remettre de ses émotions.
La seule certitude qu’il nous reste, une fois le silence revenu, c’est qu’il s’agit d’un de ces albums vers lesquels on va continuellement revenir au fil du temps pour tenter d’en saisir toutes les subtilités. Déroutant et classe, comme le chat sur la pochette.
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