Le groupe
Biographie :

Lost In Kiev est un groupe parisien de post-rock composé de Yoann Vermeulen à la batterie et aux samples, Maxime Ingrand à la guitare et au synthé, Jean-Christophe Condette à la basse et au synthé et Dimitri Denat à la guitare. Le groupe sort son premier album, "Motions", en Août 2012, suivi de "Nuit Noire" en Septembre 2016, et de "Persona" le 26 Avril 2019 via Pelagic Records.

Discographie :

2012 : "Motions"
2016 : "Nuit Noire"
2019 : "Persona"


Les chroniques


"Persona"
Note : 18/20

Le post-rock est un monde magique pour certains, mystique pour d’autres. Mais là où tous s’accordent est pour avancer le fait que le post-rock offre un terreau de possibilités de création illimité. À tendance cinématographique, introspective ou encore sidérale, le post-rock a des vocations bien plus hautes et omniscientes que les simples préoccupations nombrilistes de l’espèce humaine. Le post-rock hexagonal n’échappe pas à la règle non plus. Pour preuve : "Persona", le troisième album des Parisiens de Lost In Kiev.

Et pour se perdre dans les rues de Kiev, il n’y a guère besoin d’égarer ses cartes ou son guide Michelin, "Persona" narre un livre sonore décrivant à perfection ces sensations d’errance et d’exploration qu’une âme portée par ses jambes peut connaître dans la capitale ukrainienne. Pas de paroles, pas de lignes directrices ni d’exigences imposées. Il suffit simplement de fermer les yeux et de se laisser guider dans ce périple des sens où l’ouïe ne se retrouve pas aux premières loges, mais au même rang que les autres sens. Entre frissons et révoltes, "Persona" fait naitre chez l’auditeur un éveil lourd de sens entre mélancolie et drama. Le tout se voyant conforté par une approche cinématique et surtout contemporaine du post-rock et de la musique en général. Centré autour du destin de l’humanité dans un univers futuriste où l’intelligence artificielle régule la vie de tous les jours, ce troisième album aux allures de dystopie endosse rapidement la veste de pierre angulaire de la discographie des Franciliens. Portant à lui seul l’étendue du talent de Lost In Kiev, "Persona" prouve que le groupe a de nouveau atteint un niveau supérieur de clairvoyance sur son art.

Quarante-quatre minutes durant lesquelles le tympan se tisse sa propre histoire et dresse ses propres conclusions sur la condition humaine actuelle et à venir. Un album de haut vol qui fait suite à un "Nuit Noire" (paru en 2016) qui était lui-même déjà fortement brillant en son genre. Une très belle déclaration à la Musique avec un grand "M" !


Rm.RCZ
Juin 2019




"Nuit Noire"
Note : 18/20

On ne juge pas un livre à sa couverture mais une belle pochette peut donner envie d’écouter un album. C’est une réussite sur ce point pour Lost In Kiev qui n’a pas considéré le visuel comme un détail. Deux mains -l’une céleste, l’autre souterraine- qui se rejoignent dans une obscure clarté… Si ce n’est pas beau ! J’ai d’ailleurs annoncé qu’elles se rejoignent, mais peut-être s’éloignent-elles ? L’image est libre d’être interprétée de chacun tout comme la musique du groupe et c’est ce qui fait la magnificence du post-rock. J’ai donc fait le choix, pour cette chronique, d’exposer les émotions ressenties lors de l’écoute des neuf morceaux composant cette expérience à travers la nuit. Avant de débuter le voyage, il faut savoir que l’album n’est pas à 100% instrumental. En effet, deux voix reviennent régulièrement au travers des pistes : une voix féminine et une voix masculine. Une fois la pochette ouverte, sur fond noir nous trouvons une femme et un homme semblant flotter dans le néant. C’est donc naturellement que j’ai associé ces voix (que je traduirai au fur et à mesure) à ces deux personnes. J’ai longuement hésité à demander au groupe qui sont ces deux personnes, mais j’ai finalement préféré les laisser anonymes pour que l’interprétation soit encore plus personnelle. Alors appelons la "ELLE" et appelons-le "LUI" tout simplement. Allongez-vous, fermez les yeux, et laissez les Nuits Noires vous emporter...

"Narcosis" est le morceau qui sert de point de départ à l’album, c’est donc assez logiquement qu’il représente l’endormissement pour faire un lien avec le thème de la nuit. Il commence de manière assez lourde puis un certain mysticisme vient s’ajouter au tout pour marquer un point de rupture entre la réalité et le monde des rêves. Les premières paroles viennent de LUI. On comprend alors qu’il s’agit de son endormissement, de son histoire : "Dans le creux de mes pupilles rétractées, un trou noir dévore mes sens / Mon corps est une étoile perdue dans l’infini, dans les pierres et le graphite près du Cèdre de l’Atlas avec un cœur de bois noir et venant de la brume amniotique des abysses / Peux-tu entendre cette voix venant de l’autre côté ? / Onirique, c’est l’écho d’un souvenir perdu / Mon corps flotte sur la mer parallèle au sol / Tout autour, des racines sont arrachées du sol". Il semble être entré dans un monde imaginaire construit par son sommeil. La définition donnée de son corps peut déjà laisser penser que la main sortant de terre sur la pochette est la sienne. La main céleste serait donc celle de ELLE qui ne tardera pas à prononcer ses premières paroles : "Je sais que tu peux m’entendre / Tu as l’air si calme". Le lien est donc fait entre les deux personnages. "Je sais que tu peux m’entendre" répète-elle en fin de morceau.

"Insomnia" est le second titre. Le son est léger et aigu, très aérien, en confrontation avec "Narcosis". Toujours en contradiction avec le premier titre, le thème traité est ici celui de l’insomnie, tout simplement car la parole est donnée à ELLE qui se remémore un événement passé ce qui l’empêche probablement de trouver le sommeil : "Ça fait un an / C’était au club Nuit Noire / Je n’ai jamais rencontré quelqu’un depuis / C’est comme si je fermais mes yeux sur ma propre vie / Ténèbres sans fin / Quand nous fermons nos yeux, c’est une nuit sans étoiles faite d’insomnie tout au long de laquelle je cherche la résilience". "Mirrors" est le premier morceau qui laisse entendre un discours entre ELLE et LUI. Cette chanson les met face à face, en confrontation. La fille demande : "Si un jour la nuit me prend, me chercherais-tu ?", ce à quoi il répond finalement par la positive en dépit de ses peurs et de ses doutes face à l’insistance de ELLE. L’histoire avance de manière logique avec le morceau "Nuit Noire". Nous voilà plongé dans une ambiance de forêt. La peur se fait ressentir chez ELLE : "Oh mon dieu que s’est-il passé ? / J’ai besoin d’aide, s’il vous plaît". Les rôles sont inversés comme pour établir une relation de confiance entre les deux personnages, LUI demande : "Et toi, me chercherais-tu ? / Une fumée enveloppante recouvre mon corps de suie / Au-dessus de mes paupières, les pharess submergent mes yeux. Comme l’endorphine dans mes veines, l’obscurité à l’air si douce et elle n’attend pas. Vais-je te revoir ?". S’ensuivra une montée en puissance musicale, puis des cris… Puis rien. Le silence total. ELLE a été emportée par la nuit.

"Somnipathy" va traiter des troubles du sommeil avec une instru très douce et la voix de ELLE qui se veut très rassurante dès le début : "La nuit dernière, j’ai rêvé de tes mains / Il y avait de la suie sur la pointe de tes doigts / Tu écrivais sur ma peau 365 questions dont je n’avais pas les réponses, auxquelles tu ne pouvais pas répondre / Je voulais tout nettoyer mais la suie resta / Et je suis restée ici / Entièrement couverte par le noir de tes doigts". On retrouve d’ailleurs de la suie sur la main sortant de terre sur la pochette de l’album, ce qui prouve encore une fois que Lost In Kiev a fait une œuvre entière et pas seulement des morceaux qui se suivent. "Catalepsy" est un morceau différent sur plusieurs points. D’abord, il fait moins de deux minutes alors qu’on était habitué à des morceaux très longs jusque-là. Ensuite parce qu’il met en avant une instru très peu complexe au piano. Enfin, car une troisième voix fait son apparition. La voix d’un homme sage qui s’adresse à quelqu’un (très probablement à ELLE) et qui dit "J’ai mis cette musique pour t’aider à te relaxer / Tu vas simplement fermer tes yeux… / Bien… / Mets toi bien dans ta chaise : c’est important que tu te sentes bien et à l’aise dans ta chaise… / Bien… / Maintenant concentre-toi sur ta propre respiration et souffle lentement et régulièrement… / Très bien… / Pense à combien tu es à l’aise dans cette chaise à cet instant / Maintenant tu peux commencer à penser à lui / Attend mon signal et à 3, tu vas lui parler / 1, pense fort à cette personne, son corps, ses mains, ses lèvres, ses yeux… / 2, Ouvre ton esprit, maintenant tu peux lui parler / 3, tu lui parles".

Grâce à cette thérapie, ELLE semble avoir trouvé la résilience (capacité à surmonter un moment douloureux en dépit de l’adversité) qu’elle cherchait dans "Insomnia". Elle s’est d’ailleurs faite une raison dans le morceau "Resilience" : "Mon ange… / Je dois maintenant… / Abandonner mes illusions / Me pardonneras-tu ?", telle est la question qu’ELLE pose à LUI. Va-t-il donner son pardon ? Impossible de le savoir puisqu’il semble ignorer l’appel de ELLE dans "Celestial" : "Je sais que tu peux m’entendre / Tu as l’air si calme…". Le dernier morceau, "Emersion", est le plus long avec plus de neuf minutes au compteur. Celui-ce traite sans doute du réveil. Ici, plus de trace de LUI ou de ELLE, seulement des personnes qui répètent en chœur : "La nuit noire ne se termine jamais, ne cesse jamais de tomber, ne se termine jamais, ne cesse jamais de tomber".

La boucle est bouclée, la Nuit Noire recommencera encore et toujours. La musique de Lost In Kiev semble tout simplement indescriptible. Seuls des mots comme "planant", "sombre" ou encore "hypnotisant" semblent se rapprocher d’une définition objective de cet album. Pour le reste, c’est une question de point de vue, de la manière dont chacun va ressentir cette musique, d’interprétation. Et puisque la nuit revient toujours, pourquoi ne pas réécouter le CD et le réinterpréter ? Alors, que vous soyez LUI ou ELLE, allongez-vous, fermez les yeux, et laissez les Nuits Noires vous emporter…


John P.
Mars 2017


Conclusion
Le site officiel : www.facebook.com/lostinkiev