Vous aimez les rats ? Moi pas particulièrement, mais certaines personnes vouent un culte à cet animal intelligent et à la capacité d’adaptation hors du commun. Vénéré dans certaines cultures, ce rongeur représente en Occident la saleté et la maladie, n’est-ce pas les Skavens ? Le rat, soit on aime, soit on déteste et je ne pense pas que ceux que l’on trouve dans les égoûts de Paris par exemple, soient particulièrement attirants, mais bon, que l’on apprécie ou pas la bestiole, le roi de rats, c’est encore autre chose ! En effet, ce terme détermine un cercle de rats, tous attachés par la queue. Découvert au XVIème siècle, ce phénomène apparemment naturel est observable dans certains musées, notamment au musée zoologique de Strasbourg. En tous les cas, cette image de créatures mortes, enchevêtrées, toutes liées en cercle sied à ravir à Råtten, un trio de black crust français qui ne fait pas dans la dentelle, ou alors si, mais une vieille dentelle déchirée, en lambeaux, souillée d’immondices, d’urine et d’excréments de bestiaux qui grouillent.

En effet, cet album sorti en 2021 colporte une musique crue, décharnée, introvertie et schizophrène. Dès le départ on sent le malaise et le monde autours de nous prend, dès les premières écoutes, des tons grisâtres, la couleur s’estompe pour laisser place à une vague épaisse de sinistrose. Le crust, c’est déjà assez aride et revêche comme esthétique musicale, et Råtten s’engage à pousser le truc un peu plus loin grâce à un engagement artistique qui porte en lui cette volonté de nuire. Rien que les titres tu as tout compris : "Enfantés Du Mépris", "Haine", "Contamination", c’est pas avec ce genre de metal que tu vas taper ta pinte de Guinness contre celle de ton camarade en gueulant Skol. "Roi De Rats" est plutôt ce genre d’album que t’écoutes peinard pour rentrer dans un univers particulier. Dès le départ, les riffs de guitares hyper saturés débordent de fréquences dégueulasses, les potards semblent tous dans le rouge, ça sent la fuzz bien sale et baveuse. La basse réajuste le mix en étant plus audible et permet de mieux cerner les harmonies. La batterie, très acoustique et assez limpide, légèrement saturée au niveau des cymbales, laisse entendre une grosse caisse bien présente qui permet de consolider la trame rythmique, quant au chant, il est cru, gueulé, désinhibé, bourré de haine et de frustrations. Distant dans le mix mais pas lointain pour autant, celui-ci profite d’une réverbe qui offre la sensation que le vocaliste est enfermé dans une petite pièce, ce qui amplifie le ressenti schizophrénique et dément qui se dégage de chaque vocifération.

Très punk dans l’exécution musicale, quelques blast beats black bien sentis viennent ponctuer certains passages pour ajouter de l’élan à la musique qui trace sa route sans chercher à faire de détours. En revanche, on pourrait penser que le disque ne renferme que des compositions simplistes et rentre-dedans, que nenni, la formation propose certains titres aux relents progressifs : "Vipubakka", "Catharsis" ou le titre éponyme. "Roi De Rats", à titre d’exemple, est construit autour d’un storytelling musical qui sort des sentiers battus. Avec son intro doomesque sur fond de batterie excentrique, la basse prend le rôle mélodique avant que l’ensemble ne s’engage dans une alternance de riffs punk et black au sein desquels la guitare, très simpliste, devient parfois très crue. Cette routine est ponctuée de changements qui relancent la machine pendant que le chant s’impose de manière anarchique au-dessus de ce chaos sonore. La seconde moitié du morceau adopte des contours plus atmosphériques, le jeu rythmique basse / batterie se consolide, l’ambiance est plus pesante et mélancolique à la fois, on assiste à un final qui vire atmo, presque shoegaze. "Haine", le morceau suivant, propose tout le contraire, franc, la bataille s’engage direct dans un black des plus sales. En apparence rudimentaire, au fil de l’écoute, on prend conscience que la musique de Råtten est bien plus élaborée que ce qu’elle pourrait laisser penser.

"Roi De Rats" est un album fondamentalement crust. Sale, habité, inconfortable, motivé par un besoin irrépressible d’hurler son désespoir à la face du monde, ce disque ravira les fans du genre et permettra aux non-habitués à ce style de s’y initier. Le son dégueu' des guitares se conjugue très bien avec le chant complètement possédé et criard et cela amplifie le malaise, omniprésent au travers des 7 compositions qui s’échelonnent pendant plus de 35 minutes. Råtten réalise un premier essai concluant et on attend la suite avec une vive impatience !