Projet formé par deux frères américains, Stone Healer nous amène son premier album, "Conquistador", après un EP sorti en 2015. La musique du groupe est étiquetée black metal progressif et va donc s'adresser aux esprits les plus ouverts, loin du purisme inhérent à une certaine partie de la scène. Le tracklisting annonce qu'il y a sept morceaux seulement pour plus de cinquante minutes, il va falloir s'accrocher et s'attendre à une musique en mouvement constant.

Quelques accords acoustiques ouvrent "One Whisper", et l'album par la même occasion, avec une ambiance déjà particulière et assez étrange entre la mélancolie et la dissonance. Le groupe enchaîne sur un mid-tempo assez groovy et mélodique avant de partir sur quelque chose de très rock dans l'esprit. Le chant clair et la cow bell en arrière-plan donnent vraiment un côté rock très marqué et rendent cette première partie de morceau assez accrocheuse. Les riffs purement black et les gros blasts qui débarquent juste après n'en sont que plus surprenants ! Rien qu'avec ça on comprend très vite que Stone Healer est le genre de groupe avec lequel on ne va pas savoir sur quel pied danser. On passe du rock au metal progressif puis au black en un rien de temps et rien ne laisse deviner de quelle façon le groupe va nous attaquer par la suite. Il y a en tout cas un sacré sens de la mélodie par ici et un talent d'écriture certain, parce qu'il en faut pour ne pas se perdre dans la composition de tels morceaux à tiroirs. Pour le coup, malgré le fait que ce soit un premier album, ces Américains déploient déjà une personnalité totalement affirmée et il est bien difficile de classer tout ça, ce qui est toujours une très bonne chose soit dit en passant. Si l'influence d'Opeth peut parfois se sentir de loin sur les passages acoustiques, il est bien difficile de pointer d'autres groupes du doigt, Stone Healer ayant déjà réussi à s'émanciper totalement. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut entendre des harmonies vocales en chant clair sur de gros riffs black metal, voire même sur de bons gros blasts bien teigneux. Le chant black fait quelques apparitions fugaces mais la place est majoritairement laissé aux voix claires.

Le chant peut parfois rappeler celui de Joe Duplantier mi-hurlé mi-chanté, une influence qui peut aussi éventuellement se sentir dans toutes ces syncopes et autres cassures rythmiques. Mais si Gojira fait vraiment partie des influences de Stone Healer c'est bien caché, en dehors de ces petits détails. "Conquistador" développe vraiment son propre monde et c'est assez impressionnant d'entendre une telle maîtrise et une telle maturité sur un premier album. "Surrender" qui atteint les onze minutes montre d'ailleurs une belle panoplie de facettes différentes, de la plus brute et teigneuse à la plus progressive avec de très belles mélodies et harmonies vocales une fois de plus. Un mélange décidément très surprenant mais efficace et plaisant, un mélange qui crée pas mal d'ambiances différentes et qui, malgré sa grande hétérogénéité, garde une cohérence sans faille. Ce n'est pas mince exploit vu le nombre de sonorités utilisées et à quel point Stone Healer passe de l'une à l'autre sans prévenir. Précisons tout de même pour ceux que la mention du black pourrait attirer que la musique du groupe est tout même très majoritairement progressive, il y a peu d'explosions de violence et quand elles surviennent, elles restent épisodiques. Il y a pas mal de trémolo dans les riffs et le chant hurlé se fait entendre à plusieurs reprises, mais pour le reste ce sont surtout des relents progressifs que le groupe fait entendre. Sa violence est plus émotionnelle que frontale, les ambiances sont parfois dures mais c'est la mélancolie qui s'exprime le plus souvent. Stone Healer pratique une musique toute en subtilité, finement construite et qui n'hésite pas à briser les barrières. Cela ne plaira clairement pas à tout le monde tant l'univers du groupe est singulier, même s'il emprunte l'amour des dissonances et de la déconstruction de pas mal de groupes extrêmes modernes.

Un premier album surprenant et très bien ficelé pour Stone Healer qui fait déjà preuve d'une sacrée maturité et d'une certaine maîtrise dans l'écriture. Le groupe balance des morceaux complexes et riches sur une bonne cinquantaine de minutes tout en restant cohérent malgré de nombreuses sonorités utilisées. "Conquistador" est réservé aux esprits les plus ouverts et va demander une bonne paire d'écoutes pour en saisir les subtilités, mais pour peu que les mélanges à priori contre-nature ne vous fassent pas peur le voyage en vaut le coup.