Interview faite par Matthieu au Cabaret Sauvage à Paris.

Heureux de te rencontrer Chrigel, je te laisse présenter un peu le groupe.
Chrigel Glanzman (chant / instruments) : Content de te rencontrer aussi ! Santé ! En fait, on est essentiellement un groupe de death metal, mais on joue aussi avec des instruments folk, la culture celte… On existe depuis seize ans maintenant. Pour tout le reste, je te dirais d’aller sur Wikipédia et de taper “Eluveitie” (rires).

Qu’est ce que ça fait de faire partie d’un des plus gros groupes de metal folk européens ?
Honnêtement, je m’en fous un peu, on ne pense pas vraiment à des choses comme ça. On joue simplement la musique qu’on aime et… ouais c’est essentiellement ça. On s’en fout.

La musique du groupe est très ouverte d’esprit, et ton public est très varié. Tu penses que c’est important de garder cette ouverture d’esprit ?
Si tu le demandes comme ça, je dirais encore “On s’en fout”, parce qu’on ne fait pas ça dans le but de faire quelque chose… Personnellement, je pense que c’est toujours une bonne chose d’être ouvert d’esprit. Et c’est la même chose pour nous, aucun de nous n’est un grand fan de metal folk par exemple. Ce que je veux dire, c’est qu’on écoute littéralement de tout. Je peux que ça peut simplement tout enrichir.

Donc vous pouvez ajouter à peu près de tout dans votre musique, selon vous souhaits et vos ressentis.
Ouais, mais pas seulement au niveau musical, il est aussi question des personnes que nous sommes. Ce que je veux dire, c’est que diviser tes perspectives peut t’aider à atteindre d’autres possibilités.

L’an dernier, des membres ont décidé de quitter Eluveitie. Je sais que tu en as déjà pas mal parlé pendant d’autres interviews, alors on va se concentrer sur le présent, sur le futur. Comment est ce nouveau line-up ?
Génial. Je peux te raconter des tas de choses, mais ce que je veux dire c’est que la manière dont le groupe se développe… on imaginais pas que ça se fasse comme ça, aussi fortement. Un autre groupe s’est développé, personnellement et musicalement, ouais c’est génial. Pour moi c’est impossible de décrire ça, on est vraiment heureux.

Comment fonctionne le processus de création musicale maintenant ? Est-ce que c’est différent d’avec les autres personnes ?
Oui ça l’est. C’est comme ça qu’un groupe est sensé être. Précisément avec des liens personnels. En fait, après un an avec les nouveaux membres, on était en studio, et l’atmosphère s’est vraiment développée. On était très proches, très concentré, très créatifs. On a probablement jamais été, ou alors au tout tout début, aussi proches et créatifs sur un album. D’habitude, il y a juste une personne dans le studio, une personne qui enregistre à la fois. Cette fois, tout le monde était dans le studio, même quand quelqu’un enregistrait, les autres restaient parce qu’ils voulaient être là, partager, être dans les parages, aider les autres ou même cuisiner pour tout le monde. C’était une atmosphère vraiment très créative. Chaque jour, du matin au soir, dans certains coins du studio il y en avait qui étaient assis ensemble pour parler de quelques détails ou juste jammer ensemble et… en réalité trois titres de l’album sont nés spontanément du studio. Simplement en jammant. On jammait jusqu’à cinq heures du matin ou un truc comme ça. C’est une atmosphère très intense, proche, mais aussi très concentrée et créative. On a pas changé de style, c’est quelque chose qui s’entend sur l’album, c’est plus organique et ce sera la même chose pour le prochain album, j’apprécie vraiment ça. C’est super cool.

Cette année est ma quatrième en tant que festivalier, j’ai remarqué qu’il y avait de plus en plus de monde aux concerts de metal folk et pagan. Est-ce que tu as une explication, en tant que membre de groupe de folk ?
Eh bien… Je ne l’ai pas vraiment observé et… je ne m’en suis pas vraiment préoccupé. Pour être honnête, je dirais que je constate même l’inverse. Le metal folk est devenu populaire il y a quinze ou vingt ans, c’était vraiment gros il y a six ou sept ans et maintenant… Je ne regarde pas vraiment la scène alors… Je ne sais pas, je suis dans la musique depuis plus de la moitié de ma vie. J’étais dans mon premier groupe de death metal en… 1990 ou 1991 je crois. C’était… Pour le death metal, il n’y avait pas tant de groupes que ça, c’était une toute petite scène. Je me souviens quand Obituary ont sorti leur premier album, tous les magazines disaient “Oh mon dieu, c’est tellement violent ! C’est cool”... Et ensuite, c’était la même chose pour le folk. Après quelques années, ça a commencé à disparaître et maintenant quelques groupes subsistent et apportent de la diversité. Il y avait des groupes super axés brutal death, des groupes super axés death technique, comme Death ou Cynic, et de super groupes de death suédois et… Je pense que c’est un développement vraiment naturel, parce que la musique est quelque chose de vivant, comme une rivière tu sais. Ca suit son propre chemin et ça se développe, et tu ne peux pas prévoir ce que ça va faire. De nouveaux styles sont apparus, certains deviennent très populaires et… c’est juste super naturel.

Ouais, c’est un peu comme l’avis du magazine Rolling Stones sur le premier album de Black Sabbath. Beaucoup de gens pensent qu’il y a une transition de popularité du black metal au metal folk, quel est ton avis sur la question ?
Le truc c’est que quand on a commencé, il n’y avait pas de scène folk. Seulement des groupes comme… les Suédois d’Otyg ou les Anglais de Skyclad. Ils essayaient juste de faire quelque chose. Ce sont les véritables racines du metal folk, et c’est venu du black metal. Tout particulièrement en Scandinavie, c’est une scène avec quelques groupes vraiment merveilleux. La scène black metal est devenue de plus en plus consciente de sa propre culture. De son propre pays, de son propre langage… De plus en plus de groupes ont commencé à chanter dans leur langue au lieu de l’anglais. Au début c’était “Tu joues du black metal ? Alors tu chantes en anglais.” Dans les années 90 du moins. Et il y a eu pas mal de développements idiots avec des… fascistes…



Il y a des extrémistes partout malheureusement.
Malheureusement. Et ensuite… particulièrement en Norvège, il y a eu beaucoup de groupes de black metal qui ont commencé à se concentrer sur la Norvège, leur propre culture et leurs propres racines. De plus en plus de groupes ont commencé à se focaliser sur sur leurs traditions musicales. Je ne sais pas si tu connais Storm par exemple (black metal norvégien créé par Satyr et Fenriz, dissous en 1995).

Seulement un peu de nom.
Ils sont merveilleux, il faut que tu écoutes. Je veux dire, c’est complètement désaccordé, ils chantent faux, ils jouent faux, la production est merdique… mais tu vois, il y a du coeur dedans. Quelque chose de palpable. Ils ont pris de vieilles chansons folkloriques norvégiennes, et les ont joué comme du death metal lent. Je pense que ça peut être les fondations du metal folk. En fait, c’est un peu vrai. Le metal folk peut venir de là.

Est-ce que tu penses que tu as la mission de promouvoir la culture historique de l’Europe ? Parce que pas mal de monde pense que le metal folk, c’est juste à propos des vikings.
Non, je m’en tape. En fait je ne suis pas un grand défenseur du fait d’utiliser la musique comme une sorte de média pour promouvoir un quelconque point de vue. Je ne suis pas fan du fait de répandre une opinion. Les gens ont plus ou moins de succès, c’est un fait, mais je n’aime pas me ballader et prêcher auprès des gens… Je ne crois pas en cela. Si tu crois en quelque chose, va à l’église, ou à un meeting politique ou autre, si tu vas en concert de metal, amuse-toi tout simplement. Nos paroles ont en fait un sens profond et il y a une explication scientifique derrière tout, mais après tout pour être honnête, je fais juste ça pour moi parce que j’aime ça. C’est quelque chose qui compte pour nous. Pour les gens qui s’y intéressent, si les paroles te conviennent, va chercher des faits scientifiques derrière ça. Ca peut être éducatif, intéressant, mais… après tout je me fiche que les gens fassent ça ou non. Je sais que beaucoup de fans le font, j’apprécie ça, ça me rend heureux. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle nous le faisons. On le fait parce qu’on aime simplement ça. Je ne veux pas aller prêcher la bonne parole à tout le monde… Si des personnes s’en foutent et aiment juste ce qu’ils entendent, si ça leur va… notre passé c’est le Moyen-Âge, s'ils pensent que nous sommes des vikings… Ok. C’est pas mon problème.

Il y a beaucoup d’instruments folkloriques dans le groupe, et aussi beaucoup de musiciens sur scène. Est-ce que c’est facile de jouer avec huit autres personnes, alors que dans certains groupes ils sont seulement deux ou trois ?
Je pense que ça ne fait pas une grosse différence. Bien sûr que techniquement, plus il y a de gens avec qui tu bosses, plus c’est difficile, mais tu dois apprendre à jouer en groupe et répéter tes trucs. Comme être sur la route tout le temps, ça veut dire que vous tournez ensemble, vous vivez ensemble… Tu dois apprendre de toute façon, même s'il y a juste deux membres ou même vingt membres. Je ne pense pas que ça fasse une réelle différence.

Donc c’est juste de l’entraînement ?
Tout est question d’entraînement, un instrument, ou vivre avec les gens.

Vous avez dévoilé une partie du nouvel album avec le titre "Rebirth", tu peux nous en dire plus sur ce nouvel album ?
Ouais, probablement. Ce que je veux dire, c’est qu’on est juste en phase de création de cet album. On a prévu d’aller en studio à l’automne prochain, l’année prochaine, mais on voulait vraiment terminer un titre. Comme un avant-goût ou quelque chose comme ça. Musicalement, je pense que ça va être un peu comme cette chanson. Ca veut dire quelque part que ça va ressembler à "Spirit" ou à "Slania". Des trucs comme ça. Et d’un autre côté, ce sera plus… brut, plus rentre-dedans. Musicalement, je veux dire que ce titre est l’un des plus difficiles à jouer. On voulait juster élever le niveau. Conceptuellement, ce sera comme un album philosophique. D’une certaine manière, je vais prendre des images des architectes, de la mythologie. Comment on les regarde, on les contemple. Parce que nous pensons que dans ce qui est arrivé il y a deux mille ans, dans l’antique culture celte, il y a des métaphores de notre temps. L’âme de quelque chose. Ca raconte quelque chose aux gens, et nous pensons que ces images, leur signification, on les regarde dans la vie de tous les jours et on essaye de comprendre ce qu’elles veulent dire. C’est ce dont parlera le prochain album.

D’accord, quelque chose de plus spirituel donc.
Un album quelque peu spirituel ouais, mais basé sur la mythologie celtique bien sûr.

Est-ce que tu es plutôt accro au travail, ou travailleur régulier ?
Je suis définitivement un accro au travail à plein temps. Depuis dix ans au moins, je n’ai pas eu de vraies vacances, je n’ai jamais de dimanche ou de trucs dans le genre. D’habitude je suis éveillé pendant… ouais, dix-huit heures par jour. Je pense que ça définit bien accro au travail (rires).

Bien sûr ! Comment se passe la tournée actuelle ?
Super bien. C’est l’une des plus réussies qu’on ait jamais fait.

J’ai vu qu’il y avait beaucoup de concerts complets
Ouais, ce soir c’est complet, demain c’est complet, et le jour d’après aussi… Et aussi avec les autres c’est cool. Ce que je veux dire, c’est qu’on connaissait Amaranthe avant, parce qu’on avait fait quelques concerts ensemble. Je ne connaissais pas du tout The Charm The Fury, je ne les avais jamais entendus avant. C’est notre label qui nous a suggérés pour cette tournée. Ils viennent de signer un nouveau contrat avec notre label, et je pense que c’est un groupe génial ! Je ne sais pas si tu les as déjà vus auparavant ?

Non, pas encore.
Il faut ! Est-ce qu’ils sont en train de jouer ?

Ouais, ils ont déjà commencé.
Ok, on devrait finir ça rapidement comme ça tu pourras aller les voir ! Et ils sont sympas, ils sont super jeunes !

Ouais, j’ai écouté un peu sur YouTube, ça sonne bien.
Clairement. Des gens sympas, c’est un tout jeune groupe mais je pense qu’ils ont un gros potentiel.



Quel est ton souvenir de tournée le plus drôle ?
Oh putain. Je vais probablement être obligé de te raconter un truc interdit aux moins de dix-huit ans, mais je vais la fermer pour une question de discrétion. Ca fait quinze ans qu’on me demande ça, et je ne sais toujours pas quoi répondre (rires) ! Je ne sais pas…

Peut-être le plus récent alors ?
Ok, en fait hier quelque chose est arrivé. Je ne dois pas dire de noms, alors… Hier on avait un jour de repos, et d’habitude les gars de l’équipe en profitent pour picoler un peu. (S’adressant au chauffeur de bus) Tu as vu les photos ?
(Le chauffeur) Ouais je les ai vues (rires) !
C’est génial ! On avait un paquet de boîtes pour nos affaires et il s’est passé un truc avec la porte de derrière, alors les gars ont décidé de mettre dans les boîtes nos affaires de valeur et de les mettre dans le petit salon à l’étage. Hier, ils ont décidé de faire la fête dans ce salon. Ils ont mis les boîtes dans la couchette d’un des gars. Et ils ont bu. Beaucoup. Le mec qui dormait dans cette couchette a fait en sorte d’être complètement déchiré, il a bu une bouteille entière de whisky, des bières, du vin, du gin… le tout en une heure, de lui-même, et il rampait vers sa couchette. Mais c’était rempli de caisses, alors il a entrepris de ramper sur les caisses, et il a passé la nuit dessus, c’était… il s’est littéralement serré entre les caisses pour dormir. Et on ne l’avait pas remarqué ! On était tous un peu bourrés, on a pris des photos de lui… (rires) Cette histoire arrive… presque à chaque tournée ! Je ne veux pas paraître alcoolique mais… bien évidemment les bonnes histoires commencent avec de l’alcool !

Il y a une phrase célèbre, “les bonnes histoires ne commencent pas autour d’une salade” !.
C’est l’idée.

Tu préfères une riff épique ou une rythmique puissante ?
La rythmique. Si tu avais parlé de solos, ça aurait pu être différent.

Quel est le premier titre de metal que tu aies écouté ?
Hmm… Ca devait être quelque chose d’Iron Maiden, je pense. Je ne me souviens pas lequel, mais j’ai commencé tôt. J’ai commencé à être métalleux… à la maternelle, j’avais six ans ou quelque chose comme ça. C’était la faute de mon grand cousin qui était fan d’Iron Maiden. Et je pense qu'à cette époque ils venaient de sortir l’album "Killers", alors ça devait être un titre de "Killers", je crois.

Je comprends, j’ai commencé avec "The Number Of The Beast".
Un très bon album ! Très très bon !

Pourquoi as-tu choisi de jouer du metal en tant que professionnel ?
C’est quoi cette question à la con ?

Tu ne l’as pas choisi, c’est le metal t’as choisi ?
Ouais, peut-être. Non, en fait, je ne sais pas. J’aime cette musique depuis que je suis un petit garçon alors j’ai commencé à jouer de la guitare et… j’ai eu une formation en guitare classique. Je me souviens que j’ai rendu mes parents fous parce que je voulais commencer les cours tout de suite mais j’étais trop petit. C’était seulement pour les enfants de six à huit ans. J’avais à peine cinq ans et demi, alors ça m’a rendu fou. Et je les ai rendus fous (rires). Ensuite, j’ai eu six ans et j’ai pu commencer les cours et…

Tu n’as jamais arrêté ?
Jamais.

Imagine que tu es manager de tournée, tu peux choisir trois groupes avec qui tourner, qui seraient-ils ?
Tu veux dire, les groupes avec qui je préfèrerais tourner ? Honnêtement, ça m’importe peu.

Vraiment ?
Ouais, ça ne m’importe pas vraiment. D’habitude… On tourne avec des groupes avec qui on a déjà tourné, mais il y a pas mal de groupes alors… En fait… C’est assez difficile. Ouais, je m’en fous un peu en fait.

Dernière question : quel est ton dernier coup de coeur musical ? Des groupes à nous recommander ?
Hmm… C’est une bonne question. Le dernier… depuis… six ou neuf mois, j’adore vraiment Vivaldi. En fait, je suis un grand fan de Vivaldi, de toute façon. Je ne suis pas trop tourné vers la musique classique, mais Vivaldi est à mon avis le premier groupe de death metal. Les Quatre Saisons c’est du death metal quelque part. Mais récemment… j’ai découvert des groupes vraiment cool. Je n’écoute pas tant de musique que ça. Je ne me souviens plus du nom. J’ai découvert il y a peu l’autre groupe de notre batteur, un tout jeune groupe inconnu. Mais c’est clairement du death metal.

Le death metal, c’est toujours génial.
Ouais, généralement.

Je te laisse les derniers mots.
En fait, tu as parfaitement choisi les derniers mots, le death metal c’est toujours génial (rires).


Le site officiel : www.eluveitie.ch