Interview faite par Pascal Beaumont à Paris.

Myrath est un groupe à part dans la galaxie metal et a déjà derrière lui un long parcours avec quatre opus à son actif et une multitude de concerts à travers toute l’Europe. La formation franco-tunisienne revient en force après "Legacy" qui leur avait ouvert de nombreuses portes et permis de tourner à travers toute l’Europe en tête d’affiche au côté de Manigance et est en passe de passer un cap qui devrait les imposer rapidement comme un des leaders du blazing desert metal ! Exit le metal oriental progressif, les revoilà avec "Shehili", le vent chaud du désert, une véritable pépite qui s’éloigne du metal progressif de leurs débuts pour évoluer vers des morceaux nettement plus accrocheurs et accessibles baignant toujours dans des harmonies orientales qui sont présentes depuis le début. Cette fois-ci, les bougres ont décidé de s’entourer de pas moins de trois producteurs : Jens Borgen, Kevin Codfert, frère de cœur comme dirait Zaher, et Eike Freese qui s’est chargé des parties de batterie pour un résultat impressionnant ! Chaque titre étant soigneusement travaillé est un hit en puissance distillant des mélodies ravageuses à l’instar de "No Holding Back" ou encore "Dance". Deux petits joyaux destinés à séduire le plus grand nombre. Cette puissance mélodique étant rehaussée par des arrangements de grande classe grâce notamment à une collaboration avec l’orchestre national tunisien, les violons ajoutant un côté envoûtant aux morceaux. Du grand métal a n’en pas douter où nos Tunisiens semblent au sommet de leur art ! "Shehili" est la pièce musicale qui leur a permis d’obtenir le mix parfait entre leurs mélodies orientales, un metal progressif et des refrains accrocheurs fleuretant sur un côté pop accrocheur et redoutable. C’est clair, le gang est au sommet de sa créativité et a réussi à se réinventer musicalement. Même la reprise d’un titre traditionnel berbère des frères Megri, "Lili Twil", est une véritable réussite ! "Shehili" est un challenge réussi haut la main qui devrait les propulser vers les plus hauts sommets. C’est avec Zaher Zorgati, le sympathique chanteur de Myrath, que votre serviteur a pu s’entretenir pour élucider le mystère de cette métamorphose surprenante. Un entretien placé sous le signe de la courtoisie, notre ami ayant à cœur de présenter "Shehili", un album majeur où chaque musicien semble prendre un plaisir incommensurables. Magnéto Zaher, c’est à toi !

Bonjour Zaher, en Mars 2018 vous avez tourné à travers toute l’Europe au côté de Manigance, quel souvenir en gardes-tu ?

Zaher Zorgati (chant) : De très bons souvenirs, d’abord en ce qui concerne l’ambiance qu’il y avait avec Manigance. Ce sont des mecs très simples avec les pieds sur terre. C’est rare de rencontrer des musiciens qui sont aussi dévoués envers leur musique et leur groupe. Sur ce critère-là, on se ressemble beaucoup nous et Manigance. Tu sens qu’ils ne sont pas là que pour travailler, faire leur job et partir. Ils sont là pour savourer chaque moment que ce soit sur scène ou hors de scène. C’est notre philosophie à nous aussi. Pour la tournée en elle-même, tout s’est très bien passé, on a joué un peu partout en France, en Allemagne. On a joué dans beaucoup d’endroits, ce qui nous a marqué c’est la réaction et la réception qui nous a été faite par les fans qui ne nous connaissaient pas. C’était un détour dans la carrière de MYRATH car c’était notre première tournée en tête d’affiche. On a ressenti que l’on pouvait encore faire mieux que ça. Il y avait du monde, des gens qui nous admirent et qui étaient intéressés par notre musique. Il y avait aussi des gens qui n’aimaient pas notre style mais qui nous félicitaient parce qu’ils ont compris que l’on faisait notre truc avec du cœur.

Est-ce que tu apprécies la vie sur les routes ?
Moi, je te le dis direct, j’aime la scène plus que le studio. Sur scène, je me régale. On a ouvert pour beaucoup de formations, j’ai rencontré beaucoup d’artistes qui tournent depuis longtemps. Ils sont fatigués. Certains ne sont pas vrais, ils sont fake. Ils regardent les gens, ils sourient, ils font semblant qu’ils vont bien. Mais ensuite lorsqu’ils ne sont plus face au public, ils font la gueule, ils font des grimaces pour signifier qu’ils en ont marre. Je n’aime pas cette attitude. Si un jour je me sentais mal dans ma peau, tu le remarqueras, je ne vais pas me foutre de la gueule des fans. Si ça ne vas pas, ça se voit, je ne bouge pas trop, je suis parfois fatigué. Il m’arrive d’avoir des crampes ou de sentir que la voix n’est pas là, dans ce cas tu te sens mal mais tu ne prends pas les gens pour des cons car ils vont sentir que tu n’es pas bien. Je ne masque pas, je ne fais pas de l’acting.

Quels souvenirs gardez-vous de vos trois dates au Japon en Avril 2018 ?
C’est la deuxième fois que l’on y joue. On a pu jouer à Loud Park, c’est le plus grand festival en Asie et au Japon. On a donné un concert devant 45 000 personnes dans un stade. Il y avait des groupes comme Scorpions, Whitesnake, In Flames, Evergrey. C’était une opportunité pour nous car à l’époque nous n’avions pas les mêmes moyens que maintenant, que ce soit au niveau de la promotion, de la communication, du plan marketing. C’était vraiment un exploit de jouer dans ce festival comme ce fut aussi le cas pour le Hellfest. On n’avait pas derrière nous une armada, une machine qui, comme maintenant, travaille pour nous. On n’avait aucun gros label pour nous soutenir. On n'était pas signés chez une major comme maintenant. Aujourd’hui, on est confiants, on est sûr que ça va bien partir pour nous. Après, il faut être conscient que tu peux avoir une armada derrière toi, des gens qui travaillent avec toi et une maison de disques qui te soutient, si tu as une merde sur la table, tu ne vas pas réussir. Il faut avoir et proposer un bon produit, de la bonne musique à la base. Auparavant, on avait de la bonne musique sans avoir derrière nous une équipe pour nous soutenir. On n’avait rien de professionnel derrière nous. Max, le parton d’Edel, était bluffé. Il nous a dit "Je vais être sincère avec vous, lorsque j’ai envoyé l’album pour obtenir des statistiques, à des collègues, des gens que je connais dans les médias, j’ai été étonné car les gens ne vous connaissaient pas. Les retours c’étaient : "Mais c’est qui ce groupe ?". Il nous a dit "Vous n’êtes pas connus mais vous êtes arrivés à donner 100 concerts depuis le début de votre carrière, vous avez joué au Hellfest, vous avez joué deux fois au Japon, au Prog Power en Europe et aux USA. Vous avez ouvert pour des formations comme Epica, Symphony X ou les Américains de W.A.S.P et tout ça sans un vrai support d’une major, sans plan de marketing, sans promotion, je vous dit chapeau. Alors que dire maintenant, que va-t-on faire pour vous ?".

Est-ce que tu as l’impression que c’est un deuxième départ pour vous une forme de renaissance ?
Exactement, c’est un deuxième premier départ. Max nous a dit "Ce n’est pas votre cinquième album là, les gars, mais en fait c’est le premier. Il faut vous mettre en tête que c’est un nouveau départ avec un nouveau style : le blazing desert metal". C’est eux qui ont inventé ce nom. Aujourd’hui, on ne joue plus du metal oriental, plus du metal tunisien mais du blazing desert metal. C’est long et un peu compliqué ! (rires)



Dans quel état d’esprit avez-vous composé ce nouvel album ?
On a travaillé de la même manière que pour les autres opus. On ne change jamais une équipe qui gagne, c’est la même équipe qu’auparavant. On ne calcule pas, on prend notre temps, on rassemble nos idées et après on fait le tri. Kevin (Codfert), c’est le thermomètre, c’est lui qui décide de ce qui est bien ou pas, qui décide de ce qu’il faut jeter ou bien développer. Pour cet opus, on a fait appel à Mohamed Lassoued au niveau des violons qui est le chef d’orchestre de l’orchestre national tunisien. On a travaillé avec les meilleurs violonistes dans le monde arabe. Et je dis bien dans le monde arabe. Ce sont des Tunisiens. On a utilisé plus d’harmonies vocales, plus de percussions avec une meilleure captation de son que sur les autres opus. On a utilisé des barbicans, du luth, de la clarinette orientale qui est un instrument complètement différent de la clarinette orientale ou classique. C’est un plus pour cet opus. Et puis, au fil du temps, on a développé une maturité musicale. Après quatre albums, on continue à progresser. Il y a un petit bémol qui ne vient pas de nous mais au niveau de certains fans car on est une formation de progressif. Mais on garde quand même ce côté progressif qui nous parle, il nous dit "Hey, ne m’oubliez pas". Au début, nous étions un combo de progressif mais aujourd’hui nous jouons du blazing desert metal. Mais on n’oublie pas notre côté progressif, tu peux le sentir sur certains titres. Il faut aller de l’avant, c’est notre volonté, il faut progresser pour toucher plus de fans, ouvrir le spectre sur plus de fans. Nous, on a décidé de faire évoluer un peu notre style et de faire un truc pas commercial mais plus simple. C’est tout. Le côté progressif est dans le son, il ne partira jamais et tu peux le remarquer sur certaines chansons comme je te l’ai dit. Ce n’est pas voulu, c’est venu comme cela. C’est inconscient, tu as un riff qui est progressif, s’il est bien on le garde sinon on ne le conserve pas. Mais la structure des chansons est plus simple et plus accessible pour des gens qui n’écoutent pas du metal.

Votre nouveau single "No Holding Back" clôt une trilogie ?
Oui, exactement. Mais apparemment, Medhi, le boss de Verycords, a envie que ça continue. Pour l’instant, on va partir sur d’autres délires, on n’a pas le même concept pour d’autres titres. On va sortir deux autres clips pour cet opus mais qui seront complètement différent des précédents, ils seront dans un autre délire. Mais on ne sait jamais, peut-être bien qu’un jour sur un autre album on repartira sur le même délire que cette trilogie mais avec plus de technique 3D, de meilleurs plans. On veut quelque chose de mieux.

Qu'aviez-vous envie de transmettre comme message à travers des clips comme "No Holding Back" ou "Dance" ?
Chaque chanson porte un message, nous, dans l’album, on parle de tout et de rien, d’amour, de musique, de trucs existentiels, la guerre existentielle. On parle aussi des obstacles que l’on rencontre dans la vie. Mais on n’est pas une formation engagée, ni à thèmes. Cet opus, ce n’est pas un concept album. Chaque titre a ses caractéristiques et son histoire. Comme "Dance" qui, au départ, parle essentiellement d’un deuil, celui d’un danseur de ballet syrien qui a reçu des menaces de mort de la part de l’Etat Islamique en Syrie, Le journal en a parlé, ce n’est pas une fiction, c’est une histoire vraie. Il s’est fait tatouer "Dance all day" sur la nuque. Au départ, le nom du morceau c’était "Dance Of Death" mais Kevin a trouvé que c’était trop lourd, trop exagéré, on a donc conservé "Dance". Cette chanson est dédiée à ça, à ce contexte-là pour cette histoire-là. Mais "Danse" parle aussi de moi, de toi, de tout le monde, des gens qui combattent les mauvaises idées, les obstacles dans la vie. Ça veut dire "Viens, danse avec nous, danse à contre-courant". C’est ça aussi l’idée.

C’est important de faire passer ce genre de message pour vous ?
Bien sûr, c’est la chose la plus importante. On voit beaucoup de conneries à la TV, dans la vie. Au moins, c’est un geste d’espoir, d’amour, de fraternité et d’unité.

Quel est le rôle de Kevin Codfert au sein de Myrath ?
C’est un frère. Il est là depuis que l’on a débuté, il ne nous a pas lâchés, même lorsque l’on a perdu le père de Medhi qui était notre manager, il fournissait tout, il s’occupait aussi du financement. Lorsque l’on a perdu le père de Malek, on s’est dit que l’on avait tout perdu. Mais non. Kevin a pris l’avion, un vol pour Tunis pour venir assister aux funérailles du père de Malek. On est restés trois ans comme ça avant de faire "Legacy", il nous a recontactés pour relancer la machine. Il nous a dit de ne pas se décourager, qu’il était avec nous, qu’il fallait continuer et que l’on allait y arriver. Lui, c’est un frère, un pote, un producteur, un ingénieur du son, un co-writer. Il écrit avec nous les morceaux, il donne son avis dans tout ce que l’on fait au niveau de la musique, des vidéos, de l’artwork, de tout.

Pourquoi faites-vous appel à des aides extérieures comme Aymar Jaouadi et Perinne Perez Ferentes pour l’écriture des textes ?
Normalement, cela doit être écrit par nous comme tous les groupes le font. Au départ, c’était le cas, Aymar a écrit les textes sur le premier opus. C’est une histoire de famille, c’est un pote à nous. Maintenant, il vit à Paris mais à l’époque il vivait en Tunisie. C’est un ami d'Anis Jouini, notre bassiste, ils sont amis depuis qu’ils sont mômes. Il habitait le même quartier que nous. Il a étudié les sciences juridiques en anglais, il maîtrisait donc très bien la langue de Shakespeare. Il nous a proposé de nous aider pour l’écriture des textes lorsque nous avons préparé le premier opus. On a accepté son aide. Depuis cette époque, c’est lui qui écrit les paroles mais on travaille d’une manière démocratique. Il ne nous donne pas les textes qu’on s’empresse d’exécuter, on travaille ensemble à l’élaboration des paroles. Je peux écrire et m’exprimer en anglais. Mais je le laisse s’exprimer tout seul, c’est un accompagnement un peu comme une direction assistée pour employer une image. Je lui dit par exemple "On aimerait parler de ce sujet-là…". On choisit les thèmes et on met les points sur quelque phrases ou citations ou bien des trucs métaphoriques, lui il donne son point de vue, on discute ensemble, c’est un travail de groupe. Il n’écrit pas tout seul. L’écriture se fait à deux ou trois personnes, y compris moi. Après, on arrive avec un résultat qui n’est pas finalisé, on peut changer à tout moment, les paroles peuvent évoluer jusqu’à la dernière minute.



Au final, Myrath c’est avant tout une affaire de famille ?
Exactement et c’est pour cela que ça marche. Ce n’est pas une question d’argent, cela ne l’a jamais été, ni une question de célébrité, on s’en fout, on s’en bat les couilles d’être célèbres ou pas. Tout ce que l’on veut, c’est jouer notre musique et la faire écouter à un maximum de monde.

"Shehili" a été enregistré dans en France, en Allemagne, en Tunisie, vous êtes un modèle européen voire mondial ! (rires)
(rires) Les instruments traditionnels ont été enregistrés en Tunisie. Les voix, les guitares, le piano ont, quant à eux, été enregistrés en France chez Kevin. Ensuite, il est parti en Suède chez Jens Bogren (Opeth, Arch Enemy, In Flames) qui devait assurer le mixage de l’album. Kevin, quant à lui, devait se charger aussi du mastering. Mais Jens est tombé sous le charme de l’opus, il a aimé et inconsciemment il est entré dans le délire de la production sans le sentir, sans le faire exprès. Il posait des questions à Kevin et lui faisait des propositions en écoutant les titres. Il demandait "Mais pourquoi pas faire cela... Ou ajoute ça…". Inconsciemment. Normalement, un producteur ça se paie, mais là personne des trois n’a été payé pour un travail de production. Ils ont produit par amour. C’est eux qui l’ont voulu comme ça indirectement. Ensuite, Eike Freese et Max, le boss d’Edel, ont écouté l’album après qu’il soit passé par la suède. Et là, ils ont dit à Kevin : mais c’est du gâchis ! Kevin leur a répondu "Pardon, j’ai mal compris". Et ils lui ont répondu "C’est du gâchis de sortir un masterpiece, un chef d’œuvre comme ça, avec une telle batterie. La batterie n’est pas là, c’était enregistré avec des triggers, un peu à la Rammstein, il n’y avait pas un son organique. Kevin a répondu que l’on avait fait avec les moyens du bord comme auparavant. Il a répondu "Les moyens du bord, c’est terminé, vous avez de l’argent, on va réenregistrer les batteries dans le studio mythique Chameleon Studio où ont enregistré des formations comme Alice Cooper, Gamma Ray, Deep Purple, Scorpions. Morgan a enregistré ses parties là-bas et ça déchire. C’est un son organique tout en n’étant pas agressif.

Comment est née cette idée de reprendre "Lili Twil", énorme succès de la musique moyen-orientale originellement enregistrée par les Frères Megri en 1972 et chantée en darija, dialecte marocain ?
Pour moi, "Lili Twil", c’est avant tout un truc banal et très normal qu’on a enregistré à la demande de Mehdi El Jaï et Romain de Veryshows / Verycords. Ils nous ont dit que ça leur rappelait leur enfance et que ça serait vraiment bien si on reprenait ce morceau. Ils nous ont dit qu’ils allaient tout faire pour obtenir les droits, ils les ont eu et on a fait la reprise. J’ai l’impression d’entendre un titre américain, je ne reconnais pas "Lili Twil".

Est-ce que l’adaptation vous a demandé beaucoup de travail ?
Oui, lorsque tu écoutes la version classique et notre version ça n’a rien à voir, tu prends une claque. Chaque titre a ses critères et ses spécificités. J’espère vraiment que "Shehili" sera élu album de l’année, ou sera dans le top 3 ou 5.

Pour conclure, qu’as-tu envie de rajouter qui paraît important à tes yeux ?
Je n’ai qu’une seule envie, c’est que les gens qui vont découvrir et écouter MYRATH vont pouvoir ressentir tout le cœur qu’on a mis dans notre musique et qu’ils ressentiront la même sensation que l’on a eue en écrivant ces chansons, qu’ils ressentent la sincérité envers notre musique et indirectement envers notre public.

Zaher, merci pour l’interview !
Merci infiniment, j’espère que l’on se reverra.


Le site officiel : www.myrath.com