Interview faite par mail par Rm.RCZ

Evidemment, il est impossible de parler de Nervosa sans aborder le fait qu’il s’agisse d’un “all-female metal band”. Etait-ce une volonté délibérée dès la création du groupe ?
Luana Dametto (batterie) : Lorsque Prika (Ndr : guitare) monta le groupe en 2010, ce n’était pas vraiment prévu que Nervosa soit un “all-female metal band”. D’un autre côté, elle nous a toujours dit qu’elle s’était toujours sérieusement interrogée sur le fait que la majorité des groupes de metal étaient des “all-male metal band”. Alors pourquoi ne pas tenter l’aventure avec un “all-female metal band” ? Et de fil en aiguille, c’est exactement ce qui s’est passé avec Nervosa. D’ailleurs, comme tu le soulignes, c’est en partie pour cette spécificité que nous attirons la curiosité d’une partie du public.

Comme tu le sais, les groupes “féminins” de musiques extrêmes demeurent très minoritaires. Quel est ton point de vue sur cette faible représentation ?
Je pense qu’il en va de la responsabilité de chacun d’encourager les femmes à se lancer dans l’aventure, à prendre un instrument et à composer. Nous, les femmes, sommes toujours une infime minorité, surtout dans les musiques extrêmes. Et, bien évidemment, il y a toujours tout un tas d’abrutis pour affirmer que ces genres de musiques sont réservés aux hommes. Personnellement, je côtoie beaucoup de femmes amatrices de musiques extrêmes mais je sais qu’elles n’oseront jamais se lancer avec un groupe. Je pense d’ailleurs que la plupart n’y ont même jamais songé, certaines se défendant avec des arguments tout fait tels que les traditionnels “Oh, mais tu sais, je n’ai pas vraiment de talent”. Et c’est notre rôle à tous de les encourager à outrepasser leurs appréhensions pour enfin montrer que la musique est ouverte à tous.

Penses-tu être une source d’inspiration et ainsi inciter d’autres femmes à franchir le pas et se lancer dans les musiques extrêmes ?
J’espère vraiment l’être. Mais j’espère encore plus que le nombre de femmes jouant dans des groupes de metal va continuer à augmenter dans les années qui arrivent. Il est déjà arrivé que des fans viennent nous voir à la fin d’un de nos concerts pour nous dire que nous sommes une grande source d’inspiration et qu’elles ont fondé un groupe car nous leur avions donné envie. C’est quelque chose d’assez exceptionnel et je pense, sans prétention, que c’est certainement ce qui peut nous toucher le plus venant d’elles. C’est incroyable de voir des groupes mixtes et ainsi de pouvoir affirmer que le metal est pour tous. Malheureusement, lors de changement de line-up, trop peu de groupes osent recruter une femme. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas jouer aussi agressivement et techniquement qu’un homme ? Les groupes refusant les femmes sont encore trop nombreux. Pourtant, la musique doit être une question de talent et non de sexe. Et je pense que, quelque part, c’est un véto relativement sexiste. Espérons que tout cela évolue dans le bon sens d’ici quelques années.

En parlant de source d’inspiration, je pense que lorsque l’on vient du Brésil, il est difficile de ne pas aduler un certain Max Cavalera. Non ?
Max sera toujours un énorme modèle pour nous, tout comme pour beaucoup de formations brésiliennes. Mais limiter le metal brésilien aux frères Cavalera serait très réducteur, nous avons d’autres musiciens tout aussi légendaires. Je pense notamment à Claustrofobia, Torture Squad ou encore même Sepultura dans sa forme actuelle. Le Brésil est un pays extrêmement riche musicalement, et pas uniquement en terme de metal !



Puisque tu parles de la richesse musicale du Brésil, je dois t’avouer qu’ici en France nous n’avons qu’une vision relativement étroite de la scène extrême en Amérique du Sud. Pourrais-tu nous en apprendre davantage sur celle-ci ?
Nous avons une scène metal très développée au Brésil, tu peux en trouver dans chaque ville du pays et beaucoup d’entre eux sont excellents ! De plus, tous les genres et styles de metal sont représentés au Brésil. Même si tu recherche un sous-genre bien spécifique, tu trouveras toujours un représentant brésilien du genre. Toutefois, le grand défaut de notre scène metal est qu’il est très difficile de trouver les moyens d’enregistrer un album en bénéficiant d’une production correcte. Alors la plupart des groupes font le choix de se concentrer sur leurs prestations live et non sur des enregistrements studio car pour eux c’est une perte d’argent inutile. D’autant plus que la grande majorité des musiciens ne tirent aucun revenu de leurs activités, même les plus renommés. Le manque de moyens de production est la principale raison qui explique que, malheureusement, ces dizaines de groupes excellents sont dans l’incapacité de partager leur musique avec le reste du monde. Evidemment, le fait que les médias ou le gouvernement se désintéressent totalement de ce style de musique n’aide pas à notre expansion. Mais, nous restons passionnés et nous luttons pour que les choses changent !

Mais alors, qu’est-ce qui est le plus difficile pour Nervosa dans sa quête de reconnaissance : devoir lutter car le groupe vient du Brésil ou devoir lutter car le groupe est “all-female band” ?
Tout dépend du contexte. Quelque part, NERVOSA n’a pas réellement besoin de se battre durement pour attirer l’attention sur le groupe car, comme tu le soulignes, le fait que nous sommes un “all-female band” nous vaut énormément de curiosité. Toutefois, nous devons sans cesse lutter pour être reconnues comme de véritables musiciennes plutôt que comme des phénomènes de foire. Parce que nous sommes des femmes, certaines personnes ne nous considèrerons jamais comme l’égal des hommes, y compris au niveau musical. Nous devons, à chaque instant, prouver que nous savons jouer et que nous avons travaillé depuis de nombreuses années pour arriver à notre niveau actuel. Concernant le fait d’être brésiliennes, si aujourd’hui nous ne souffrons plus de cette image, je t’avouerai qu’au début les choses n’ont pas été faciles pour nous. Ne serait-ce que car aucun label n’osait miser sur un groupe brésilien, encore moins un groupe brésilien entièrement féminin. Et pour cela, nous ne serons jamais assez reconnaissantes envers Napalm Records d’avoir laissé une chance à NERVOSA.

Musicalement cette fois, peut-on résumer le son de Nervosa par “live energy” et “old school” ?
“Live energy” : je suis d’accord à 100% ! Sur le côté “old school”, en fait, je pense que nous ne le sommes que dans la façon dont nous percevons et faisons les choses. Nous n’usons pas de milliers de pédales d’effets ou de post-production, nous injectons toute notre rage et nos cœurs dans notre musique. C’est certainement pour cela qu’elle sonne si vraie, si authentique, si “old school”. En cela, la manière de faire de NERVOSA est réellement “old school”. Toutefois, cela n’empêche pas nos albums de sonner très modernes. Nos productions sont toujours très propres et modernes. Mais nous ne souhaitons tout simplement pas tricher sur nos albums et n’y mettre que ce qui sort réellement de nos tripes : pas d’effets, pas de lissages, pas de modifications en studios. Juste cette énergie live comme tu aimes l’appeler.

Puisque tu parles d’enregistrement, Nervosa a sorti il y a quelques mois un nouvel album : “Downfall Of Mankind”. Que peux-tu nous dire sur celui-ci ?
“Downfall Of Mankind” est de loin l’album le plus lourd, sombre et violent de NERVOSA. Les filles étaient très excitées à l’idée de faire un album encore plus brutal que le précédent. Nous avions énormément d’idées et de riffs, et nous voulions retrouver cette noirceur jusque dans l’artwork. Tu pourras aisément remarquer que la pochette de “Downfall Of Mankind” est bien moins colorée que celles de ses prédécesseurs. Personnellement, je viens de la scène death metal donc il a vraiment été facile pour moi d’élever d’un cran la technique, la vitesse et l’agressivité de mon jeu. “Downfall Of Mankind” marque la naissance d’un nouveau NERVOSA : plus puissant, plus thrash, plus death et plus fracassant. Et ce n’est que le début, le prochain album sera certainement encore plus lourd.

Au niveau de ses textes, “Downfall Of Mankind” est très sombre, très pessimiste. Est-ce là la vision décadente que Nervosa garde de l’humanité ?
Tous nos écrits sont très critiques et presque tous s’en prennent à la société actuelle. Nous traversons une période vraiment très sombre au Brésil et lorsque nous avons commencé le processus d’écriture, nous n’étions qu’aux prémices des crises que traverse le pays. Alors oui, “Downfall Of Mankind” reflète notre vision actuelle des choses : cette idée d’une humanité décadente, d’une chute de nos sociétés. A ce propos, c’est certainement pour cela que nous avons choisi d’appeler l’album ainsi. Mais d’un autre côté, nous avons toujours une once de foi en l’être humain, notamment lorsque l’on voit des personnes se liguer pour protéger les animaux ou lutter pour l’environnement. Toute à l’heure, nous parlions de féminisme par exemple, c’est ce qui me permet d’affirmer que même si l’humanité est sur une pente descendante, certains individus nous permettent d’espérer un avenir meilleur. Pour l’instant, le présent est sombre, l’humanité est sur le point de franchir le point de non-retour. Tout à chacun peut le constater ne serait-ce que par l’avènement des extrêmes en politique. Je n’ai qu’une prière à adresser au futur : que tout cela change. Mais à l’heure actuelle, je ne vois que “the downfall of mankind”.



“Downfall Of Mankind” a été produit par Martin Furia (Evil Invaders, Destruction, etc). Etait-ce pour créer un album respirant à 100% le thrash metal ?
Martin est l’un de nos amis les plus proches. C’est une personne exceptionnelle tant professionnellement qu’humainement ou musicalement. Nous travaillions avec lui régulièrement que ce soit en tant que technicien son ou tour manager. Alors quand s’est posée la question de la production de ce nouvel album, nous nous sommes dis “pourquoi pas”. C’est une expérience très agréable de collaborer avec Martin, il ressent notre musique exactement comme nous la ressentons et il veut aller là où nous souhaitons aller musicalement. Et, sincèrement, je pense que ce n’est que le début d’une grande et brillante collaboration !

Finalement, doit-on voir ce troisième album comme celui de la maturité ?
Pour être tout à fait honnête, je ne pense pas mettre dite “maintenant les oreilles qui se risqueront à l’écoute, ressentirons la maturité du groupe”. Pour moi NERVOSA évolue et évoluera toujours. La seule chose dont je suis sûre est que le son de NERVOSA évoluera dans le sens que nous jugeons le meilleur. Nos albums sont plus efficaces les uns que les autres. D’ailleurs pour l’anecdote, lorsque “Agony” est sorti, beaucoup l’ont comparé à l’album de la maturité de NERVOSA. Du coup, c’est assez comique de retrouver les mêmes qualificatifs pour “Downfall Of Mankind”. (rires) Quoi qu’il en soit, “Downfall Of Mankind” est un album très spécial pour NERVOSA. Mais je suis sûr que le futur réserve bien d’autres albums tout aussi spéciaux à NERVOSA.

Pour parler de tout à fait autre chose, Nervosa ne s’arrête plus de parcourir le globe à coup de tournées. Est-ce là le plus important pour Nervosa ?
C’est en effet très important pour nous. Se produire en live est le meilleur moyen pour un groupe de grandir et de s’affirmer comme un groupe “professionnel”. Je pense qu’au fil des années, nos albums sont devenus meilleurs dans le sens où ils sont taillés par le live. En quelque sorte, nous nous produisons si régulièrement sur scène que notre son s’en ressent. C’est très important d’aller au plus près de nos fans, de parcourir différents pays pour les rencontrer. Notre objectif est toujours d’augmenter notre fan-base, de partager notre musique avec le plus de personnes possible. En cela, tourner est la meilleure chose que nous pouvons faire.

Comme le veut la tradition, je te laisse les derniers mots…
Merci énormément pour le soutien que French Metal nous apporte, merci de nous donner l’opportunité d’exposer nos idées, de nous laisser la parole notamment sur des sujets aussi sérieux que la place des femmes dans le metal et le sexisme que nous affrontons parfois. Nous serons toujours reconnaissantes auprès de tous ces passionnés qui, comme vous, exercent leur plume dans les medias metal. Je tiens également à remercier chaque personne qui prendra le temps de lire cette interview. En espérant tous vous croiser sur la route de nos tournées !


Le site officiel : www.nervosaofficial.com