Interview faite par mail par Rm.RCZ

Salut J-B, tout d’abord félicitations pour "Abreaction" et plus généralement pour l’ensemble de ton accomplissement musical ! Pour commencer, si jamais une présentation s’imposait encore, comment Svart Crown se présenterait ?
Jean-Baptiste Le Bail (guitare / chant) : Salut Romain. Merci d’abord pour ton retour, content que "Abreaction" et le reste de notre discographie aient pu faire écho chez toi. Je pense que la meilleure façon de présenter SVART CROWN serait de dire que nous sommes un groupe de metal extrême originaire du Sud de la France. Nous existons depuis 13 ans et faisons une musique à la fois torturée, sombre et dynamique.

Svart Crown figure dans le "10 of the best metal bands from France" érigé par Metal Hammer aux côtés notamment de Gojira, Alcest, Gorod et Deathspell Omega. Alors, heureux ?
Forcément ce genre de retours plus qu’élogieux font toujours du bien à l’égo, surtout lorsque cela vient de la part d’un magazine ultra reconnu comme Metal Hammer Uk ! Toutefois, je nuancerai quand même ce classement en disant que dix autres groupes français auraient pu être choisis sans que ce classement perde de son sens. Je veux dire par là que la scène française est actuellement vraiment intéressante, énormément de groupes auraient pu y figurer. Quand on regarde de plus près ce classement, on voit que c’est assez stylisé, que tous les groupes restent dans le même "genre" et que cela rentre dans la vision du chroniqueur.

Pour arriver à ce résultat, Svart Crown en a tracé du chemin, alors revenons quelque peu en arrière et retraçons un tant soit peu l’histoire. "Profane", le troisième jet du groupe, sortait en Avril 2013, rétrospectivement quel jugement porte le groupe sur cet album ? D’ailleurs, avec le recul, changerais-tu quelque chose à cet album ?
Je reste très fier de cet album. Avec "Profane", nous sommes arrivés exactement là où nous le voulions, et ce, sans faire de concessions. Avec "Profane", j’ai le sentiment que nous avons proposé quelque chose de vraiment "jusqu’au boutiste", un disque homogène et avec peu de failles finalement. Après bien évidemment, cela reste une question de goût personnel. Quoi qu’il en soit, pour moi, nous avons vraiment poussé au maximum nos capacités, et par la même occasion, ce que SVART CROWN avait déjà pu entreprendre avec "Witnessing The Fall". Aujourd’hui et avec le recul, je ne changerai pas grand-chose à l’album. Mais disons que la réponse à cette question dépend surtout du moment de l’écoute. Je pense que si tu m’aurais posé la question quelques mois après la sortie, j’aurais bien voulu retaper quelques passages ou écourter certains trucs. En fait, la vision que tu portes sur un album change quand tu commences à jouer les morceaux en live. Par exemple, il m’arrive de trouver de nouvelles idées ou de nouvelles harmonies aux fils des tournées. A ce moment là, tu te dis : "Tiens c’est con, je n’y avais pas pensé", mais c’est comme ça. Un disque c’est la photographie d’un groupe, d’une époque à un moment donné et précis. Et ça s’applique également à SVART CROWN et "Profane". Quoi qu’il en soit, je me place dans une position où nous avons toujours tout à prouver. Rien n’est jamais acquis et pour continuer à être pertinent il faut sans cesse se remettre en question. Il y a toujours des incertitudes, et tout peut être remis en question si facilement.

Presque quatre ans plus tard, le groupe est de retour avec "Abreaction", sorti le 3 Mars 2017 via Century Media Records. Pourquoi ce choix de label ? Et que va-t-il apporter de plus à Svart Crown ?
Alors pourquoi ce choix… Je pense honnêtement que nous étions arrivés au bout d’un cycle avec Listenable. Je me suis moins retrouvé dans leur ligne de conduite ou même dans les sorties du label. Quand nous avons discuté de la façon de sortir le disque, mais également lorsque nous avons parlé chiffres, ça a coincé, chacun est resté sur ses positions donc nous avons préféré arrêter. Cela fait partie de la vie d’un groupe. Mais nous restons et resterons toujours très attachés à ce qu’a pu faire Laurent et toute son équipe au sein de Listenable. Ils ont vraiment toujours tout donné pour nous et ils ont vraiment permis au groupe de passer un cap. Donc nous sommes reconnaissants envers eux.
Quant au choix de Century Media, c’était le label qui figurait en haut de la liste des labels si jamais il fallait en changer. Même si la structure est rattachée à un major (Sony Music), l’équipe et le chef de projet sont en place depuis très longtemps et parlent le même langage que le groupe niveau musique. Il suffit de voir ce que le label continue de signer et continue de sortir en genre "extrême" pour se rendre compte que c’est très solide. La dimension internationale était vraiment très importante pour nous. Non pas que Listenable soit un label uniquement tourné vers la France loin de là, mais Century Media a une réelle envergure internationale avec des bureaux entiers sur chaque place forte. En fait, nous étions confrontés à nos attentes en matière de développement du groupe. Dans ce sens, nous avons recherché une structure ayant les reins assez solides pour vraiment investir dans le projet à hauteur de nos ambitions. C’était soit ça, soit on repartait dans une direction plus tournée vers l’autoproduction où chaque centime récolté aurait été pour le groupe.



Entrons maintenant plus profondément dans le vif de ce nouvel album. Niveau textes et réflexions, Svart Crown aborde souvent la noirceur de l’Homme, son côté destructeur et sa certaine prédisposition à la violence et la tragédie. Derrière son approche primitive, notamment via l’artwork et certains titres ("Nganda", "Khimba Rites"), quelles réflexions sur la condition humaine cache "Abreaction" ?
Disons que le constat reste toujours le même, l’homme est un loup pour l’homme. "Witnessing The Fall" était la description d’une chute sans fin, "Profane" était plus le constat d’un monde malade et gangréné. Avec "Abreaction" nous repartons sur le même constat, et même si nous ne sommes pas là pour fournir l’antidote, la réflexion est surtout fondée sur "comment vivre avec ses démons intérieurs ? " ou encore "existe-t-il une lumière à travers les ténèbres ?". Le coté tribal évoque cette force cathartique ainsi que l’extériorisation ultime, le relâchement, la libération. Pour faire simple, "Abreaction" c’est tomber au plus bas pour se révéler, mourir pour mieux renaître. En ce sens, cela s’apparente à l’histoire de SVART CROWN en somme.

Pourquoi ce choix d’un univers "primitif", très atmosphérique et presque rituel ?
C’est venu de façon très instinctive, comme toujours. D’ailleurs, cette envie d’enfoncer des portes ouvertes se retrouvait parfois par "Profane", avec des morceaux comme "Venomous Ritual" par exemple. Quoi qu’il en soit, l’inspiration "primitive" est venue naturellement. J’ai toujours été fan de formations comme Wardruna, Jarboe, ou plus récemment Wovenhand. Ce côté ethnique, boisé et primaire correspondait tout à fait à ce que j’avais en tête. Il y a toujours eu un côté assez hypnotique dans notre musique, avec des fins à rallonge tout en progression. Ce qui colle plutôt bien puisque le côté ritualiste s’incorpore encore plus avec ce genre de passages.

Là où "Profane" portait encore quelques rares moments d’éclaircissement, "Abreaction" sonne plus lourd, plus sombre voire oppressant et ce, de bout en bout ("The Pact : To The Devil Is Due", "Orgasmic Spiritual Ecstasy"). "Abreaction" a-t-il donc définitivement le rang d’album le plus noir de la discographie ?
Je n’en ai aucune idée, je ne pense pas avoir le recul nécessaire même maintenant. Mais pour être tout à fait franc, j’entends beaucoup de mélancolie sur ce disque et encore une fois, cette mélancolie est sans doute due à un pessimisme ambiant très fort. Ce pessimisme se retrouve forcément dans les textes, même si les événements récents n’ont pas forcément eu directement d’impact sur ces derniers, ils en ont forcément eu de manière inconsciente. Ce pessimisme ambiant à beaucoup joué surtout pour l’année 2015, mais nous n’avons pas eu besoin d‘avoir 2015 pour se rendre compte à quel point l’infection était présente. Enfin, d’autres facteurs plus personnels et propres aux groupes ont aussi contribué à la noirceur des lyrics. Quoi qu’il en soit, là où certains pourraient voir la lumière, je verrai juste l’acceptation d’une certaine condition.

Peut-on considérer "Abreaction" comme allant encore plus loin que "Profane" et ainsi le voir, du haut de ses 55 minutes, comme l’album le plus ambitieux et abouti de Svart Crown ? Ou doit-on le voir simplement comme la confirmation de la confirmation ? Personnellement, je pense que c’est le plus mûr, le plus imposant et le plus réussi à ce jour !
Oui, c’est le plus ambitieux ! Ambitieux à titre personnel déjà, car il m’a fallu énormément de travail pour mettre tout cela en place et enregistrer pour la première fois toutes mes parties. Ensuite ambitieux à un titre plus collectif cette fois, car on retrouve un certain "savoir-faire" qui était présent sur "Profane ", à savoir une sophistication dans les arrangements, dans la mise en place et dans le jeu. Mais il y a ce petit "plus" qu’il n’y avait pas avant, qui ne se retrouve pas dans les autres sorties studios. En effet, le fait d’avoir déchargé certaines parties, d’avoir laissé plus de place aux éléments, c’est quelque chose de nouveau et qui fait du bien. Toujours niveau musical, le travail sur la batterie est aussi à souligner, car même si les parties sont assez chargées, tout est très réfléchis et très fin. Le chant est aussi partie prenante de ces changements, celui-ci dénote beaucoup plus de mélodies, de tessitures, j’en suis très fier. En fait, avec "Abreaction", nous sommes moins dans le défi mais nous laissons bien plus de place pour l’interprétation.

Sinon, pour la conception du disque, toujours Francis Caste dans le rôle du producteur et toujours Stefan Tanneur à l’artwork (qui avaient tous deux participés à "Profane"). On ne change pas une équipe qui gagne ?
Exactement ! C’est tellement dur de devoir faire intervenir des protagonistes extérieurs dans un projet et de leur laisser un tant soit peu les clefs de ce projet, qu’au final quand on a trouvé les perles autant les garder. Je préfère travailler dans la confiance et savoir où je mets les pieds. En cela, Francis et Stefan bossent avec nous depuis "Witnessing The Fall", ils font en quelque sorte partie d’une certaine extension du groupe. En cela, SVART CROWN reste un groupe assez fidèle en amour et surtout, je sais où on met les pieds avec eux.



Les médias spécialisés, et à peu près tous les tympans, s’accordent sur le fait que Svart Crown a su surprendre par toutes ses sorties studio. Alors selon Svart Crown, est-ce qu’"Abreaction" va surprendre les fans ? De même, qu’attend Svart Crown d’"Abreaction" ?
Surprendre les fans je ne suis pas sûr. J’ai du mal à me mettre dans la tête de quelqu’un qui est justement "fan" de ce que l’on fait. En fait, je pense que la réception de ce disque dépendra des vérités du moment. Je pense que ce qui est valable pour l’un de nos albums ne le sera peut être pas pour un autre, tout est question de temps, d’époque et de moment. Par exemple, il y a des gars qui étaient à fond quand on a sorti "Witnessing The Fall", on les voyait à tous les shows, maintenant on les voit moins. Ça ne veut peut être pas dire qu’ils n’aiment plus le groupe, ils sont juste passés à autre chose. Donc pour moi tout dépend des vérités du moment. Alors "ne rien attendre", voilà le maître mot ! Ne rien attendre pour ne pas être déçu. Impossible à faire bien entendu, mais on va essayer de s’y tenir en gardant ce cap et ce feu qui nous amine depuis les débuts. Cet album est le fruit d’années de tensions, de conflits intérieurs, le coucher sur bande m’a permis de retrouver une certaine paix intérieure, c’est ça "Abreaction". En fait, j’aimerai garder cet équilibre de ce qui amener à composer "Abreaction", même si au final, ça ne tient qu’a un fil.

D’une façon plus générale, le black / death a plutôt la côte en ce moment ! Quel regard porte Svart Crown sur ce sentiment et plus globalement sur la scène extrême actuelle ? Trve kvlt ou simples poseurs ?
Je ne sais pas ce qui a la côte en ce moment, je trouve que tout est dur à promouvoir en matière de metal extrême. Ce qui était vrai il y a trois ans, ce qui cartonnait trois ans auparavant n’est plus d’actualité maintenant. Tout change, tout évolue relativement vite. Nous sommes dans un marché de surconsommation et surproduction. Personne, et moi le premier, n’a le temps et l’envie de tout découvrir. On cherche tous un peu de fraîcheur. La preuve, en ce moment tout le monde écoute de la synthwave et même les plus Trve comme tu dis. Attention je ne critique pas, j’adore ça aussi, je suis super fan de Carpenter Brut ! Mais sans vouloir parler comme un vieux con, je trouve la scène extrême en elle-même chiante à mourir, dépassée parce qu’enfermée dans des codes mais également dépassée car vide d’honnêteté. Certains auront le même constat que moi vis-à-vis de SVART CROWN en avançant ces reproches, je pourrai les comprendre dans un sens...

Une tournée avec Marduk vient de se dérouler, ce n’est pas la première et ce ne sera certainement pas la dernière. Mais après avoir désormais tourné avec des groupes comme Nile, Ex Deo, Septicflesh et bien sûr Marduk, quel(s) groupe(s) peuvent encore faire rêver Svart Crown dans l’optique d’une tournée commune ?
En effet, depuis quelques années nous avons eu la chance de tourner avec de très grands groupes qui, pour la plupart, ont bercé mon adolescence. Je pourrais ajouter à ta liste Deicide, Shining, Hate Eternal ou encore Entombed. Quoi qu’il en soit, la tournée avec Marduk s’est vraiment bien déroulée dans son ensemble. Le package était cohérent (Incantation était aussi de la partie), pas d’égos, de très bonnes conditions pour les US, des salles remplies comme il faut etc. On se sent, bien évidemment, extrêmement chanceux de pouvoir vivre ce type d’aventures, même si côtoyer ces groupes au quotidien te fait prendre conscience de l’énorme marche à gravir pour espérer égaler leur niveau. Des groupes de cette trempe évoluent dans la cour des grands, on parle d’une autre division quand on les évoque ! Mais pour être tout à fait franc, on ne choisit pas vraiment les groupes ni les packages, mais on saisit des opportunités. Pour nous, le plus important est que la tournée apporte quelque chose au groupe, donc l’esthétique mais aussi la notoriété vont être prédominantes. Le facteur humain est un peu laissé de côté, à ce niveau-là c’est la loterie. Je t’avouerai que ça manque de le prendre en compte parfois... Par exemple, on a récemment tourné avec Benighted sur quelques concerts et, même si l’approche est différente, on a passé un super moments ! On a découvert de super gars et on a revécu des moments de franche camaraderie comme à nos débuts. Donc pour répondre à ta question, la tournée commune qui fait rêver, c’est un tout, autant la renommée du groupe que les moments qu’on partagera.

Pour conclure, un petit mot pour la fin ?
Merci pour les questions et j’espère avoir donné quelques clefs pour appréhender cette pièce qu’est "Abreaction". Quoi qu’il en soit, à bientôt sur les routes !


Le site officiel : www.facebook.com/svartcrown