Interview faite par mail par Murderworks

Salut Evan ! Le nom de ce nouvel album, "Epigone", est intéressant puisqu'il a le sens de "successeur d'un artiste, disciple sans originalité", ce qui, pour des musiciens, est plutôt ironique. Doit-on y voir un trait d'humour ou de l'autodérision ?
Evan Anderson Berry (chant / instruments) : Je suppose qu'il y a un peu d'autodérision là-dedans (rires). Mais ça a principalement un rapport avec l'engagement de n'importe quel artiste, leur combat avec leur propre ego et les incertitudes que nous rencontrons tous au quotidien. Et ce n'est même pas forcément spécifique aux artistes, je pense qu'on peut appliquer ça à quiconque essaie d'accomplir quelque chose et fait face à un sentiment d'échec et au syndrome d'imposteur. Il y a aussi un sens plus profond pour moi parce qu'une bonne partie de ce matériel a été composé il y a longtemps quand j'étais plus jeune. Donc d'une certaine façon je me sens comme l'épigone de l'ancien moi à utiliser des choses que j'avais écrites par le passé. Je me suis même dit à certains moments "Merde, je ne sais pas si je pourrais composer cette partie-là maintenant".

C'est peut-être une coïncidence mais le premier album montrait une pochette se rapportant à la mer, les deux suivants à la terre et celui-ci semble dépeindre un paysage aérien. C'est un hasard où il y a là une sorte de fil rouge thématique ?
Oh intéressant ! Je ne crois pas avoir déjà remarqué ça. Il y a clairement une intuition derrière ça, mais je trouve que c'est plutôt cool et il y a peut-être quelque chose d'inconscient là-dedans. Mais il y a bien certains thèmes communs entre les albums, principalement parce que j'ai tendance à me fixer sur certains thèmes particuliers et sur ces références croisées entre les albums. Par exemple le morceau d'ouverture “Exhaler” et probablement plus lié à “Veil Of Imagination” au niveau des paroles que le reste de “Epigone” et j'ai toujours eu l'impression qu'il servait en quelque sorte à lier les deux albums. En tout cas il va falloir que je garde en tête une imagere liée au feu pour le prochain album !

Quel a été le déclic qui vous a motivés à vous diriger vers une musique plus progressive, plus profonde et plus sombre après avoir eu des influences folkloriques assez marquées ? Car si l'on peut encore sentir cet héritage votre musique a tout de même pris un virage plus dur, plus symphonique et plus riche.
Honnêtement je pense que c'était une évolution plutôt naturelle pour nous et ce n'était ni conscient ni forcé. Évidemment notre premier album “ Olden Tales And Deathly Trails“ est le plus folk de tous et nous aimons toujours cet album et aimons y revenir. Une fois terminé nous avons réalisé que nous ne voulions pas être piégés dans ce type de musique. Nous voulions plus de liberté pour nous amuser et étendre notre musique avec différentes textures et ambiances tout en essayant de garder ce qui fait l'essence de l'atmosphère de WILDERUN. Je ne serais pas surpris si ce côté folk revenait plus fortement sur nos prochains albums, c'est toujours une grosse part de ce qu'on est, nous avions juste besoin d'explorer des formes de compositions plus éclectiques pour garder les choses intéressantes.

Je suppose que vous avez dû travailler à distance et n'avez pas pu vous retrouver en studio cette fois ? Est-ce que ce changement de méthode a eu un impact sur la composition ou les arrangements de l'album ?
Heureusement nous avons tous, excepté Wayne, pu nous retrouver en studio donc c'était presque normal. Nous étions dégoûtés que Wayne ne puisse pas venir mais il vit à l'autre bout du pays. Étant le père d'un enfant d'un an il n'a pas voulu prendre de risques, ce que nous avons totalement compris. Pour être honnête nous sommes un groupe plutôt éparpillé depuis quelques années. Dans est dans le Massachusetts, Wayne est en Californie, Jon est en Caroline du Nord et j'ai été en Illinois, Massachusetts et maintenant Californie (rires). Donc j'imagine que ce n'était pas aussi difficile pour nous que pour d'autres groupes de nous adapter à cette pandémie. Nous avons pas mal travaillé avec des video chats et des fichiers Dropbox depuis quelques années. Même s'il y a eu une isolation plus marquée bien sûr, et couplée au manque de tournée et de concerts pour casser la routine du travail sur les nouveaux morceaux ça a vraiment eu un effet néfaste sur nous. C'était dur pour moi de commencer sur le nouvel album au début, principalement parce que nous n'avions pas pu tourner longtemps pour “Veil Of Imagination”. Mais après quelques mois ça a eu du sens de commencer à travailler sur un nouvel album.



Si l'on retrouve cette patte symphonique déjà présente sur le précédent album, on sent cette fois une noirceur plus prononcée, sur "Woolgatherer", "Identifier" ou la fin très dissonante de "Distraction II", c'est assez flagrant. C'est dû au contexte actuel ou c'était une orientation que vous vouliez prendre à la base ?
Comme je l'ai dit tout à l'heure une partie de ces morceaux était déjà écrite, je dirais 60 à 70% en gros. Donc d'une certaine façons nous savions que l'album allait sonner comme ça depuis longtemps. Mais je pense que les arrangements, des sections de musique ajoutées plus tard ou simplement la présentation générale ont été influencées par l'époque et nos émotions. Le plus gros du travail a été fait dans la seconde moitié de 2020 donc je pense qu'il était impossible que cette époque incertaine et anxieuse n'influence pas l'album d'une façon ou d'une autre. Je pense que ces moments plus sombres dont tu parles reflètent un sentiment d'anxiété et de peur que nous avons certainement ressenti d'une certaine façon.

Ce que l'on entend aussi c'est que les orchestrations s'intègrent encore plus naturellement cette fois-ci et donnent vraiment l'impression de faire partie d'un tout. Certains groupes les laissent vampiriser l'espace sonore au détriment des autres instruments mais ce n'est pas votre cas. Vous avez fait particulièrement attention à cet aspect pendant la composition ?
Nous avons toujours pensé l'orchestre comme une part intégrante de WILDERUN, aussi important que le reste du groupe. En un sens la batterie, les guitares, la basse et le chant sont simplement une partie de cette symphonie. Je sais que certains auditeurs n'aiment pas ça, ils aimeraient que le metal soit plus présent en plus mis en avant, mais en fait je ne pense pas nécessairement à WILDERUN comme un groupe explicitement metal. Dès que nous avons été vraiment un goupe, plus le temps passait plus tout se mélangeait en une étrange mixture de différentes couleurs, textures et humeurs et nous sommes ouverts à l'idée d'utiliser tous les outils qui nous permettent d'arriver à ça. En quelque sorte le “metal” n'est qu'un des outils que nous utilisons.

Vous avez réalisé une reprise du "Everything In Its Right Place" de Radiohead, ce qui tranche avec votre registre habituel (même si nous serons d'accord pour reconnaître qu'il s'agit d'un excellent groupe). Est-ce que le choix de ce morceau a été dicté par la musique, par le fait que les textes abordent peut-être des thèmes proches des vôtres ou les deux à la fois ?
Merci ! Ce que je préfère avec les reprises c'est d'essayer d'en faire quelque chose à nous plutôt que d'essayer de rester le plus fidèles possible, donc on s'est fait plaisir avec celle-ci. Pour les paroles en fait non, je n'y ai même pas pensé en choisissant cette reprise, c'était un choix purement musical. Mais je pense que les paroles s'accordent plutôt bien avec le reste de "Epigone" et j'aime la façon dont le morceau se pose à la fin du tracklisting. Ce n'est pas officiellement une piste de l'album, puisque c'est clairement à "Distraction Nulla" que revient ce rôle, mais je pense que la reprise fonctionne bien en guise de "générique de fin".

Qui a réalisé les deux vidéos de "Passenger" et de de "Identifier" ?
Zev Deans a réalisé “Passenger” et Brendan McGowan a réalisé “Identifier” même s'ils ont en quelque sorte tous les deux travaillé sur les deux à la fois. C'était vraiment sympa de travailler avec cette équipe. Je pense qu'ils sont plus connus pour leurs travaux sur les videos de Ghost et Denzel Curry donc c'était vraiment excitant de pouvoir travailler avec eux.

Petite question à part, ces deux morceaux sont présentés en version "radio edit", du coup comment fait-on en tant qu'artistes pour réussir à couper certains passages de morceaux conçus comme un tout ? N'est-ce pas parfois un crève-cœur que d'amputer ainsi une partie de son œuvre, près de la moitié de chaque morceau en l'occurence ?
C'était une décision assez difficile à prendre mais nous avons eu quelques discussions avec le label à ce propos et finalement c'était la bonne décision. Premièrement, il semble qu'il y a encore quelques radios metal en Europe (ce qui n'est pas vraiment le cas ici aux US) et notre label nous a dit en gros qu'aucune radio ne diffuserait des morceaux de 10 ou 11 minutes. Nous voulions avoir le plus d'exposition possible donc cela avait du sens. Par rapport aux videos c'était honnêtement une question de budget et nous pouvions soit faire un long clip soit deux courts avec le budget que nous avions. Encore une fois nous voulions atteindre le plus de monde et avoir le plus d'exposition possible donc nous avons voulu en faire deux. Nous nous sommes dit que si les gens les entendent et les apprécient ils peuvent acheter l'album et écouter les morceaux en version complète, ce que nous préférons qu'ils fassent évidemment. Nous ne nous attendons pas à ce que les version radio passent le test du temps mais si cela amène des gens à écouter l'album c'est ça de gagné, ils pourront du coup profiter des versions complètes quand ils le souhaiteront.



D'ailleurs comment composez-vous ? Vos morceaux sont longs, denses et très riches, du coup est-ce que vous avez un noyau dur de compositeurs ? Est-ce que certains passages découlent d'improvisations ?
Jusqu'à maintenant j'ai été le principal compositeur du groupe, même si le son final va bien plus loin que mon travail initial de composition. Je présente en général des démos très brutes qui ne présentent que le squelette des morceaux. Plutôt simple finalement, quelques guitares, du piano, peut-être quelques discrets claviers ici et là. Puis nous avons de longues discussions sur la façon dont nous voulons construire tout ça. Nous prenons de longues notes détaillées qui décrivent de quelle façon nous voulons que le morceau sonne section par section. Cela inclut les changements d'instrumentation, d'orchestrations, les synthés etc... Mes démos incluent parfois des parties de batterie brutes elles aussi, mais pour “Epigone” j'ai décide de les enlever pour laisser Jon libre de faire ce qu'il voulait dès le départ. Wayne et Dan sont tous les deux bien plus compétents techniquement que moi à plusieurs égards et sans eux mes démos ne pourraient jamais évoluer vers le résultat final que tu entends sur l'album.

Avez-vous quelques dates prévues avec cette timide reprise des concerts. Aura-t-on la chance de vous voir sur scène prochainement ?
La seule date prévue pour l'instant est le ProgPower USA festival à Atlanta, Georgie, du 1 au 4 Juin pour laquelle nous sommes très excités puisque c'est un festival dans lequel nous voulons jouer depuis des années maintenant. Malheureusement c'est la seule chose prévue pour l'instant mais je garantie que nous travaillons pour prévoir d'autres dates aussi tôt que nous le pourrons !

D'ailleurs vous utilisez beaucoup d'orchestrations sur album, du coup est-ce que vous utilisez des bandes sur scène ou est-ce que vous réadaptez vos morceaux pour le live ? Et du coup la question évidente : seriez-vous tentés de reproduire ça un jour avec un véritable orchestre sur scène ?
Jusqu'à maintenant les orchestrations sont envoyées directement à travers la console de mixage avec les backing tracks. Et oui nous avons retravaillé quelques petites choses ici et là pour coller aux arrangements live, tout comme nous altérons certaines choses dans la façon dont nous jouons nos parties intrumentales. Par exemple même si à plusieurs moments de l'album une mélodie est jouée principalement par l'orchestre nous avons appris avec le temps qu'il valait mieux que la guitare lead joue la plupart des mélodies, même si ce n'est pas le cas sur l'album. Le mixage en live n'est pas assez fiable et c'est très chiant quand une des mélodies principales est totalement inaudible. Cela donne aussi au public une expérience légérement différente de l'écoute de l'album. Et oui, c'est un de nos plus gros rêves de jouer live avec un orchestre, même si vu le temps que ça prend et ce que ça coûte nous ne nous attendons pas à ce que ça arrive bientôt. Si ça arrive ce sera probablement une unique occasion spéciale !

Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions, si tu as quelque chose à ajouter tu as carte blanche.
Merci beaucoup pour l'interview ! Et merci à tous ceux qui nous ont soutenus d'une quelconque façon, en achetant la musique, le merch ou en venant à un concert. Comme je l'ai dit nous allons essayer de tourner pour soutenir "Epigone" le plus tôt possible !


Le site officiel : www.wilderun.com