"The Fate Of Flight 800"
Note : 19/20
Certains groupes aiment conter des histoires, et c’est visiblement le cas de Mortis Mutilati.
Créé en France en 2011 par Macabre (tous instruments, basse / chant en live, ex-Azziard,
ex-Griffon , ex-Moonreich, ex-Skog), l’homme s’entoure progressivement d’autres
musiciens, que ce soit en live ou au sein du line-up officiel, si bien qu’aujourd’hui ce sont
Asphodel (chant féminin), Rokdhan (guitare, Ishtar) et Aryth (batterie, Towering) qui
l’accompagnent pour "The Fate Of Flight 800", le cinquième album de la formation.
Sorti deux ans seulement après le précédent opus, cet album est tout particulier. Il conte la
déchéance d’un vol, immatriculé vol 800, et je vous laisse deviner le fin mot de l’histoire : ça
se finit plutôt mal, comme nous le montre cette pochette sordide que l’on doit à Asphodel.
Et pour terminer cette page d’histoire : le Boeing 747 a explosé en plein vol, tuant 230
personnes au large de Long Island, aux Etats-Unis.
Le black metal teinté d’influences death de la formation sied à la perfection à cette histoire,
offrant une base solide, mélancolique et entêtante à Macabre pour s’exprimer vocalement,
accompagné par quelques choeurs. Cependant, la progression se fait clairement ressentir.
Si "Road To Nowhere" est sombre, le titre reste dissonant et offre les prémices d’un chaos
sans précédent, et qui passera par une frénésie incontrôlable, des moments planants mais
inquiétants, proposant même un sample robotique grisant pour quiconque connaît cette
histoire. Des passages post-black sont également à prévoir, tout comme des choeurs doux,
contrastant avec la gravité des riffs, et aussi une instrumentale, nommée "The Fate Of Flight
800". Pour moi, le titre le plus puissant est "The Smoke Of Your Corpse", une composition
brute, lourde de sens et qui précipitera le reste de l’album dans un enfer sans nom jusqu’à
"Ashes", le dernier et plus long titre de cet album. "Ashes" est mélancolique, oppressant,
glacial. Et le final l’est tout autant.
Si certains voient en Mortis Mutilati un énième groupe de black metal français, ils se
trompent. "The Fate Of Flight 800" n’est pas un album, c’est un recueil morbide qui est
capable de raconter avec des riffs prenants une histoire tragique et de nous la faire vivre
sans bouger de notre place.
"Eonian"
Note : 15/20
Certains groupes sont le fruit d’une collaboration très étroite entre plusieurs musiciens, mais
ce n’est pas le cas de Mortis Mutilati. Après avoir fondé le groupe en 2011, Macabre, la
tête pensante et seul membre officiel, ne s’entourera de musiciens de la scène black metal
française que pour les lives et quelques enregistrements. Aujourd’hui à la tête de quatre
albums, deux démos et un split, la dernière sortie se nomme "The Stench Of Death". Pour
mener à bien cette opération, l’homme a fait appel à son acolyte live Rokdhan (guitare)
ainsi qu’à Asphodel (chant) pour les voix féminines.
L’album commence sobrement avec "Nekro", une composition mélancolique au son clair et
cristallin, qui nous ferait presque douter d’écouter un album de black metal. Asphodel use
de sa voix enchanteresse pour nous mener jusqu’à "Echoes From The Coffin", qui change
drastiquement d’ambiance. Beaucoup plus sombre, même si les amateurs du style y
reconnaîtront le même esprit lancinant et oppressant, la voix de Macabre se mêle
parfaitement aux riffs sales du projet. Bien que plus lente et lorgnant presque vers le
doom / black, il m’a fallu m’habituer au chant en français de Crevant-Laveine. Bien que
presque imperceptible pour les non-initiés, il ne m’a pas échappé et passe plutôt bien avec
la rythmique crasseuse de Mortis Mutilati. Les claviers pesants ajoutent une réelle
plus-value au titre, qui est devenu au fil des écoutes l’un des meilleurs de l’album à mes
yeux.
Plus rapide mais néanmoins plus lancinante, "Regards d'Outre Tombe" est une composition qui
joue énormément sur les harmoniques dissonantes que le groupe peut atteindre tout en
conservant une partie lead très aérienne, alors qu’"Onguent Mortuaire" est plus directe et
donne une place plus importante à la basse. Mais la chanson phare de ce quatrième album,
c’est "Portrait Ovale". Une longue complainte qui revient sur des aspects plus calmes avec un
mélopée en son clair, alors que Macabre hurle tout ce qu’il peut. Alors que chaque partie
s’enchaîne directement avec la précédente, toutes apportent leur pièce à cet édifice de
souffrance.
Avec une introduction pareille, "Homicidal Conscience" ne pouvait être qu’un titre sale à
souhait. Quand en plus on sait que c’est Devo (Cardinal Sin, Marduk, Overflash) qui a
enregistré la guitare lead, plus personne n’est surpris d’écouter le titre le plus violent de
l’album. On revient sur de la mélancolie pure avec "Invocation A La Momie", mais avec des
passages plus incisifs, renforcés par la voix angélique d’Asphodel. Ce contraste est
essentiel à la chanson, et les passages où les deux chanteurs unissent leurs voix sont
absolument sublimes. Lorsque j’ai lu le titre de la composition suivante, "L'Odeur Du Mort", j’ai
tout de suite pensé à une dissonance accrue, ainsi qu’à des harmoniques tranchantes. Et je
ne m’étais pas trompé, sauf que j’avais oublié la voix glaciale du chanteur, qui se joint à la
perfection à cette ambiance. Enfin, "Ecchymoses", le dernier morceau, est un sample qui
semble vieillot, mais qui retranscrit parfaitement l’ambiance de l’album. L’arrêt long et
chaotique d’une voix par un chaos pur et simple.
Alors que je l’avais trouvé plutôt quelconque à la première écoute, "The Stench Of Death"
possède une atmosphère vraiment particulière. Son ambiance mortuaire et glaciale permet à
Mortis Mutilati d’affirmer sa place au sein d’une scène black metal française un peu
surchargée, et l’association des voix en fait un groupe totalement à part d’une scène très
codifiée.
"Anomima"
Note : 17/20
Mortis Mutilati est un groupe français de funeral black metal. Et comme tous les groupes français qui atterrissent miraculeusement dans ma pile d’albums à chroniquer, car il faut avouer que je suis plus souvent branchée vers la partie scandinave de ce monde, j’éprouve subitement un élan d’affection pour eux avant même d’écouter. Parce que je suis toujours ravie de constater qu’il existe des groupes qui font vivre la scène française, surtout dans des genres aussi underground. Et suivant cet élan d’affection, étudions cet album dont le mot clé semble être nécrophilie. Oui, érotisme et mort renvoie automatiquement à nécrophilie.
Ouverture donc sur "Mélopée Funèbre", tout en douceur. Les guitares accoustiques sont mises à l’honneur pour ce premier titre, accompagnées de voix que j’oserai qualifier de pures. Le tout forme un mélange assez entêtant, et assez hypnotisant, ce qui prépare d’ores et déjà à une expérience hors du commun.
Avec "Vénus Anadyomène", on entre réellement dans le vif du sujet. Les guitares deviennent plus tranchantes, et se fondent dans une ambiance assez pesante. Les vocaux semblent surgir de cet écran de fumée obscure, ce qui donne une sensation de malaise ressenti tout au long du titre. Le ton étant donné, je ne suis nullement surprise quand les premières notes de "Ophélia" retentissent. On retrouve cette même ambiance glauque qui donne franchement l’impression d’errer entre les tombes. Ce qui en soi correspondrait parfaitement au concept de l’album, et au côté taphophile de la tête pensante du groupe, Macabre. A noter, les choeurs légèrement masqués dans le background qui rajoutent une impression onirique au rendu final.
Suit "Oraison Du Soir", un titre qui pour moi résume tout l’album. Je reste impressionnée quant à la façon dont, à la première écoute, le morceau peut sembler simplement mélodique, alors qu’un voile de mélancolie et de tristesse flotte lourdement, assombrissant terriblement l’atmosphère du titre. Sans violence exacerbée, Mortis Mutilati provoque en nous une sensation d’oppression et de malaise. Un tour de maître selon moi car j’ai toujours préféré une froide subtilité qu’à un projet directement et clairement exposé. Et toute la force de cet album réside en cette subtilité, si savamment dosée.
Avec "Reliquiae", je peux aborder un autre point intéressant quant aux choix faits pour cet album : le phénomène de répétition. Je ne le mentionne évidemment pas dans un sens péjoratif, car cette répétition participe à cette impression d’oppression et d’enfermement, renforçant ainsi l’expérience obscure que nous vivons. Le morceau devient alors entêtant et lancinant, et l’atmosphère n’en est que renforcée. "Morte" est un petit coup de coeur personnel, pour cet étonnant changement de rythme en milieu de morceau. La longueur des titres est également appréciable. Ni trop long, ni trop court, le groupe trouve l’équilibre pour instaurer une ambiance sans pour autant traîner en longueur ce qui aurait été regrettable.
Suit "Eros& Thanatos", l’occasion pour moi de signaler que l’album est également plein de références mythologiques connues. Ici, on a davantage à faire avec un concept freudien où l’instinct de survie se dresse face à la pulsion de mort. Eros, figure mythologie de l’amour, incarne cette vitalité. Je trouve intéressant de retrouver ce genre de thèmes dans un groupe de black, le sujet étant bien entendu fascinant. L’album semble d’ailleurs bercé par une sorte de glorification de la mort, presque romancée si je puis m’exprimer ainsi. Entre fascination et répulsion, en quelque sorte. Mais, j’en arrive déjà à "Fingers Of Death", qui clôt l’album dans un final à la dimension presque épique.
Ce que je retiendrai de Mortis Mutilati, c’est un album largement convaincant et prometteur. Cette fascination pour la mort qu’on ressent à travers l’écoute est hypnotisante, et tient l’auditeur en haleine jusqu’aux dernières notes, comme forcé à suivre Macabre dans un voyage morbide et malsain. Et je ne peux que me réjouir qu’un tel groupe soit français.