Et dire qu’à la base, le black metal était le fruit d’adolescents révoltés qui ne répondaient qu’à leurs instincts les plus crus, le tout enrobé d’autodestruction mêlée à une fascination pour le morbide, l’occulte et le profane. Aujourd’hui, le black metal est une forme d’art qui va plus loin et qui est devenu un terreau fertile à des thématiques et des concepts bien plus raisonnés. Ainsi, Pénitence Onirique, groupe français actif depuis 2015, axe le concept de son dernier album sur le travail de l’anthropologue René Girard, autrement dit sur la théorie mimétique, et plus particulièrement la théorie mimétique du désir. Qu’est-ce-quoi donc que cela me direz-vous ? Eh bien, le caractère mimétique du désir, pour faire court, c’est l’idée que tout désir est l’imitation d’un autre. En gros, si je dois vulgariser le concept, si vous éprouvez du désir pour tel ou tel objet, c’est parce que quelqu’un d’autre le désire. C’est drôle mais j’en profite pour dire que le black metal français est très bon pour élaborer des thématiques ciblées, ce n’est pas le premier album de cet acabit qui centre le sujet sur un élément précis et développe tout un longue durée avec. Avec un tel concept, associé à cette magnifique nature morte en guise de pochette, douce mais dont la présence d’épines dévoile un aspect menaçant sous jacent, on pourrait s’attendre à une musique aussi chiante que le concept lui-même (enfin, chiant pour les quoicoubeh car on sait que le public metal, et qui plus-est dans le metal extrême, contient en son sein quelques bonnes têtes d’ampoules). Vous serez surpris donc à l’écoute des 7 titres, car Pénitence Onirique, c’est la grosse fessée cul nu !
Déjà, si on parle du ton général de l’album, nous sommes ici face à un disque qui harmonise intelligemment la violence pure, l’agressivité intrinsèque au black metal, avec de superbes atmosphères qui ajoutent du lyrisme et une sensation planante à l’ensemble. L’un ne va pas sans l’autre et l’équilibre entre ces deux paramètres antagonistes est tel qu’à l’écoute, on est porté par cette vague de surcharge à la fois émotionnelle et énergique. L’équilibre entre les instruments permet de discerner chaque élément, le duo basse-batterie fonctionne à merveille, notamment sur les moments pesants où les deux éléments fusionnent pour renforcer le côté impactant, pendant que les guitares se détachent plus librement lors des passages en lead. Les nappes de synthé quant à elles, restent un élément essentiel de la musique de Pénitence Onirique, et le choix des sons, très judicieux, sert l’ensemble à merveille. Combien de fois avons-nous grimacé suite à l’apparition de clavier douteux ? Ce genre de truc qui fait débander direct arrive malheureusement trop souvent dans le black metal, même chez des gros groupes, la cause étant soit le mauvais goût, soit l’égo du claviériste qui veut à tout prix se faire entendre. Là, c’est vraiment autre chose, les parties de synthé ne sont pas en arrière dans le mix et occupent une place égale à celle des guitares, tout en parvenant à se fondre avec elles. Ainsi, on a le duo basse-bat’ qui déroule le tapis rouge à des guitares qui élaborent des riffs aux tonalités mornes, tout en virulence.
"Nature Morte" dévoile des compositions qui dépassent assez souvent les 6 minutes, et au sein desquelles on retrouve le bon vieux blast beat incisif et les guitares en trémolos, mais aussi du riffing bien plus lourd qui vient foutre des coups de freins pile où il faut pour garder l’auditeur attentif et actif. Parfois, le groupe s’engage dans une voie et n’en démord pas comme sur "Mammonites", deuxième track, qui débute sur une intro pesante pour engager une ligne droite à fond la caisse avec un fast-tempo sur un cycle ternaire au sein duquel le chant déclame son texte avec une violence inégalée. J’en profite d’ailleurs pour parler des vocals, le timbre est parfait, autant dans les aigus que dans les graves. Cette alternance des tessitures arrive toujours à point nommé, la dominante étant le chant black, on a quand même droit à différents types de voix, comme les déclamations, ce genre de parlé-crié étant toujours dans les clous avec l’ambiance que le groupe développe sur le moment.
L’atmosphère globale est sublimée par des agencements simples mais efficaces. Par ailleurs, il y a un petit côté (petit… ptêt pas si petit que ça) shoegaze dans l’art de tisser des mélodies et façonner des climats. J’y retrouve des sensations similaires quand j’écoute Deftones, The Cure, ou Deafheaven, le titre éponyme étant révélateur de ce type de situation mélodique et compositionnelle. Selon moi, et à l’instar des groupes précités, Pénitence Onirique propose une véritable musique émotionnelle. Quoi de mieux vu les thématiques abordées ?
Comment ne pas être embarqué à l’écoute de ce full length ? L’équilibre parfait entre le grandiose et la violence, la surcharge d’affect et de pathos soutenue par un black metal original et moderne, en apparence simple dans ses structures et son déroulé mais complexe dès que l’on s’attarde au détail. Pénitence Onirique propose une musique très élaborée, mais qui a su se délester de tout le superflu, afin de ne garder que l’essentiel pour mieux faire passer le message. Nous avons droit ici à un black metal solide, profond, intimiste mais impactant, qui prouve une fois de plus que la scène française se défend très bien sur ce sujet-là. "Nature Morte" est l’album black de cette fin d’année, le scénario sonore idéal pour une rentrée dans l’hiver, afin de profiter de l’émerveillement que peut procurer cette saison qui porte en elle les stigmates du temps sur la nature, desquels se dégagent une incroyable beauté, à l’instar de ce disque.
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