"Je pense que je suis un pur produit des années 90, parce que cette décennie correspond au moment où je me suis mis à consommer des images en grande quantité, ce qui fait que tout mon imaginaire s’est construit à cette période." Et si ces mots empruntés à Karim Debbache concernent le cinéma, ils s’appliquent tout autant à moi pour la musique (et pour le 7ème Art également, en fait). En effet, c’est au cours de cette décennie que je me suis réellement mis à écouter de la musique, à apprécier la musique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’aujourd’hui encore, en 2017, le metal des années 90 est celui qui me parle le plus. Que de souvenirs en repensant aux claques qu’ont été les premiers albums de Rage Against The Machine, Korn, Dog Eat Dog, Helmet, Stuck Mojo…
Alors à l’annonce de la formation de Powerflo, l’adolescent en moi s’est réveillé, a sorti son plus beau t-shirt démesurément trop grand, son baggy, son bandana et est allé jeter un oeil, et surtout une oreille, des plus intéressés à ce qui se disait sur ce “supergroupe”. Car quand Billy Graziadei, Sen Dog, Christian Olde Wolbers et Roy Lozano décident de faire de la musique ensemble, en bons potes qu’ils sont et après tant d’années à collaborer les uns avec les autres avec leurs groupes respectifs, ça suscite chez moi un maximum d’intérêt ! Biohazard, Downset, Fear Factory, Cypress Hill, tout ça dans le même groupe ? Mais que pourrais-je bien demander de mieux ? Après l’excellent "Bloodlust" de Body Count plus tôt dans l’année, 2017 s’annonçait vraiment bien en termes de revival metal / hip-hop !
C’est donc tout fébrile que je lançais la lecture de leur premier album, sobrement intitulé "Powerflo", à peine celui-ci reçu. Et si tout partait plutôt pas mal, avec un "My M.O." absolument éreintant pour la nuque et jouissif pour les oreilles, la suite me laissait plus dubitatif… Avais-je placé la barre de mes attentes trop haut ? Le groupe avait-il eu tort de communiquer comme il l’avait fait ? Est-ce qu’on s’en balance et on se dit que ces gars ont juste fait ce qui leur plaisait sans se soucier du reste et qu’après tout c’est bien là l’essence de cette musique ? Eh bien, un peu des trois, en fait, je pense.
Toute la promotion de l’album s’est faite sur la base de deux morceaux, "Resistance" et "Victim Of Circumstance". Pêchus et efficaces, ces deux titres sont sans aucune contestation possible parmi les meilleurs de l’album. Ils correspondent parfaitement à ce qu’on est en droit d’attendre d’un groupe réunissant des membres de toutes les formations concernées par cet album. Entre les couplets de "Resistance" où le flow de Sen Dog nous enchaîne comme un boxeur roué de coups, acculé dans un coin du ring, et les grosses punchlines de "Victim Of Circumstance" scandées en choeur par tout le groupe crachant leur rage, on tenait là un album absolument prometteur. Surtout si on y ajoute la première découverte de l’album, "My M.O.", mentionné plus haut, dont le riff principal doit sans nul doute être le meilleur de tout l’album.
Malheureusement, le rêve se brise et l’excitation s’effondre dès la troisième piste de ce "Powerflo". Si tout commence par quelque chose de très original, voire même des sonorités qu’on ne pensait clairement pas entendre de leur part, le refrain vient balayer ça du revers de la main avec son côté guimauve et pop absolument déconcertant, désolant… presque gênant. Il suffit d’à peine quelques secondes de ce refrain pour se sentir souillé, comme victime d’une mauvaise blague de la part du groupe, qui nous rappellerait presque les heures les plus sombres de notre musique préférée (ceux qui se rappellent les Petits Chanteurs à la Croix de Bois sur le "Who We Are" de Machine Head me comprendront). Et on pourrait se dire qu’il s’agit d’un accident, d’un moment d’égarement, la conséquence de trop nombreux hits from the bong… Mais "Where I Stay" n’est malheureusement pas un cas isolé.
"Crushing That" est également une victime des déviances du groupe et, malgré son bon côté punk old school et ses refrains hip-hop de bon niveau, on ne peut être marqué que par cette mélodie tout à fait mièvre, mielleuse, gnan-gnan et surtout fort désagréablement entêtante qui vient une fois de plus tout gâcher ! Billy, Senen, Roy, qu’êtes-vous devnus ? Qu’est-ce qui vous a pris ? Ou plutôt qu’avez-vous pris ? La suite ? Elle continue de la même manière, en dents de scie, on se sent comme sur les montagnes russes du metal, oscillant entre du très bon hardcore et du punkounet gentillet. Et c’est bien là le problème de cet album, il ne connaît pas de cohérence, que ce soit sur l’aspect qualitatif ou sur le style des pistes. On a comme l’impression qu’il n’y a pas eu de réel processus de composition, que nos cinq compagnons (car oui, n’oublions quand même pas de mentionner la présence à la batterie de Fernando Schaefer, moins connu mais qui tient très bien la route, même si le contraire eut été étonnant…) se sont croisés plusieurs fois en plusieurs années, s’échangeant des riffs, des idées, pour finalement compiler le tout en 2017 dans un album.
Alors certes, quelques titres sortent du lot et arrivent à nous refaire taper du pied, hocher la tête, comme "Less Than A Human", voire même nous donner envie de partir en plein pogo, tels les excellents "Finish The Game" et "Up And Out Of Me", mais le reste ne peut rien provoquer de plus qu’un long soupir. Et on attend que ça se termine. Et on regarde les secondes qui défilent. Et on est plutôt satisfait quand on découvre que le morceau ne dure que 2 minutes et 30 secondes… Oui, car l’album ne dure au final que 34 minutes. Heureusement ou malheureusement, je vous laisserai en juger. Personnellement, sur "The Grind" je penchais plutôt pour la seconde solution, et sur "Made It This Way", je priais pour que le refrain s’arrête. Au final, on se retrouve avec une sorte de sous-"Bones Disc" du double album "Skulls & Bones" de Cypress Hill, avec une forte minorité d’excellentes pistes, quelques bons morceaux bien efficaces, mais surtout un bon paquet de grand n’importe quoi qui flirte bien trop souvent avec le cliché et la facilité, que ce soit sur le plan de la musique ou du message ("Start A War" en est l’exemple parfait).
En bref, "Powerflo" est une de mes plus grandes déceptions musicales de ces dernières annés. Attention, je n’ai pas dit “le pire album”, il y a eu bien pire dans tous les genres. Mais il représente pour moi, personnellement, un immense gâchis de talents quand on voit de quoi nos cinq gaillards sont capables chacun de leur côté, même si les années de gloire de chacune de leurs formations respectives sont passées depuis longtemps… L’album n’est donc pas dénué d’intérêt, et certaines personnes pourront même sûrement lui reconnaître énormément de qualités, mais même si je prendrai toujours beaucoup de plaisir à écouter "My M.O.", "Victim Of Circumstance", "Finish The Game" ou "Up And Out Of Me3<:I>, le reste sera très vite oublié. Il ne me reste désormais plus qu’à ressortir mes vieux albums de Biohazard, Fear Factory, Cypress Hill et Downset, en priant pour que les petis gars de Powerflo n’en restent pas là, se ressaisissent et nous reviennent prêts à foutre le feu avec un vrai bon album digne de ce nom, plein de rage, de sueur et de titres assassins.
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