"Dissociation"
Note : 20/20
Quiconque est fan de Mike Patton et de ses divers projets comme moi (eh oui, on ne signe pas Miss Bungle au hasard), est avide de tous les groupes qui s’influencent de près ou de loin du maître. C’est le cas par exemple de Twelve Foot Ninja ou The Dillinger Escape Plan. Le premier évoluant dans le côté plus groovy de Patton (on est assez proche de l’esprit Faith No More ou des premiers EPs et albums avec éléments ska de Mr. Bungle), le second dans la facette plus expérimentale et agressive du sieur, comme Fantomas ou Tomahawk.
D’ailleurs il faut se souvenir qu’à ses débuts The Dillinger Escape Plan a assuré la première partie de Mr. Bungle. Et plus tard, ils feront appel à Mike Patton, qui se dit impressionné par les prestations scéniques du groupe, pour toutes les parties vocales de l’EP "Irony Is A Dead Scene" (rappelons que Greg Pucciato rejoint le groupe en 2002 pour la sortie du second album "Miss Machine").
The Dillinger, c’est un math rock qui part dans plusieurs directions, le grindcore, le heavy, le metalcore en intégrant aussi du metal progressif et affirmant sa touche avec des éléments jazz qui deviendront caractéristiques du groupe. En live, l’originalité et la folie sont plus que jamais mis en exergue, avec un Greg Pucciato escaladant tout ce qu’il peut et finissant parfois la tête en sang à force de se jeter partout.
Après seulement 5 albums, dont le dernier en date "One Of Us Is The Killer" (2013), plus que jamais agressif et jazzy, The Dillinger Escape Plan revient cette année avec l’annonce d’un nouvel album "Dissociation" et surtout de la fin du groupe. Triste nouvelle et donc forcément grosse attente sur ce dernier opus.
Pas besoin de tergiverser bien longtemps. Quand dès la première écoute, il y a une excitation grandissante et des "Bon sang ! Bon sang ! Bon saaaaaaang !" (je tairais les véritables termes sortis de ma bouche afin de protéger vos chastes oreilles) qui fusent toutes les deux secondes, je peux affirmer sans trop me tromper que l’album est une absolue tuerie ! La première attaque est amorcée avec le titre "Limerent Death" qui est annonciateur de la ligne directrice de l’album. C’est-à-dire des morceaux extrêmement travaillés avec des compositions en béton armé, riches et originales. La progression de "Limerent Death" est jouissive avec une fin dont le tempo s’accélère jusqu’à rendre le chant de Pucciato complétement hystérique et l’auditeur avec.
Sur l’album "One Of Us Is The Killer", la tendance était à l’agressivité constante. C’est là la différence avec "Dissociation". Après la mise K.O. du premier titre, on enchaîne avec le magnifique mid tempo "Symptom Of Terminal Illness". Le mid-tempo est toujours un exercice difficile on le sait. Ici, le groupe a réussi à mélanger mélodie et intensité. On est tenu tout le long. 4 minutes qui permettent de redescendre un peu la pression avant de se reprendre un uppercut avec "Wanting Not So Much To As To". Représentation absolue de tout ce que je recherche dans la musique, la variété et l’originalité. L’influence Patton est plus que jamais présente, sans plagiat aucun entendons-nous. Le morceau suivant ne fait que renforcer cette impression. Aux premiers abords "Fugue" est du trip hop, oui mais du trip hop sauce Dillinger, survolté, tiraillé, déformé. Et, après les deux premières minutes, on a clairement une partie qui pourrait s’appeler "The Bends - Part 2" ("The Bends" - album "Disco Volante" de Mr. Bungle), étrange, mystérieuse et particulièrement dérangeante.
Tout l’album est construit sur cette alternance de passages ultra agressifs et d’autres plus calmes - faussement calmes - qui font que l’auditeur est constamment sur le fil. Cette tension permanente et presque palpable qui tient en haleine et qui jamais, au grand jamais ne redescend.
Vous faire le descriptif des autres morceaux pourrait être lassant et redondant, mais surtout, j’ai envie de vous dire que je veux vous laisser le plaisir de la découverte. "Dissociation" est à l’image de l’artwork de la pochette. Fragile et pure comme le verre qui se brise. Mais aussi délicats et brillants que soient les morceaux éparpillés, ils peuvent provoquer de sérieuses coupures. Un mot tout de même sur le sublime titre de fin, du même nom que l’album, qui m’a laissée dans une émotion très forte. Après plus de 37 minutes de ballotage, le titre "Dissociation" termine l’album dans une douceur et une pureté infinie avec la voix de Greg Pucciato qui laisse pantois devant tant de fragilité. Dans les premières mesures on pourrait presque croire que c’est Björk qui chante, d’ailleurs la structure et la mélodie elles-mêmes du morceau se rapprochent des compositions de la mystérieuse islandaise.
Je pourrais chercher longtemps un bémol à "Dissociation", mais en toute honnêteté cet album m’a enthousiasmée au plus haut point et c’est la première fois que j’ai envie de gratifier un opus de la note maximale, c’est dire !
The Dillinger Escape Plan tire ici sa dernière révérence de la plus talentueuse façon en signant un album magnifique, intense, diablement bien composé et efficace. En un mot comme en cent, une œuvre d’une indiscutable perfection et qui deviendra forcément un classique à posséder dans sa collection.
"One Of Us Is The Killer"
Note : 18/20
En 2010, The Dillinger Escape Plan m’avait mâchouillé la cervelle de leur "Option Paralysis" pour la recracher en une sorte de bouillie dégueulasse. Et ils ne sont pas fous les cocos alors ils ont attendu trois ans qu’on digère correctement et les voici de retour avec "One Of Us Is The Killer". L’artwork annonce le bordel, ils ont sorti leur plus belle plus plume pour composer un truc, le truc, destiné à entacher nos tympans et salir l’intérieur de notre boite crânienne.
Je vous l’accorde, ça commence sans surprise avec un "Prancer" qui vous place la tronche dans un étau à base de rythmiques explosives, de dissonances qui grincent, d’une batterie mitrailleuse et d’une voix toujours aussi prenante. TDEP pense à nous et à nous remettre dans le bain. Ca, c’est fait. L’ultra-violence à outrance ça pourrait lasser… d’ailleurs ça lasse. D’innombrables groupes le prouvent en espérant encore qu’il faille seulement aligner quatre accords et gueuler comme une femme qui accouche pour faire son effet mais non. Jamais ô grand jamais, Dillinger ne se contentera de ça. Le groupe est doté d’un charme et d’un talent incontestable qui fait que chaque morceau pondu, même si la recette ne change pas ou peu, reste un plaisir à ramasser entre les dents ("When I Lost My Bet", "Hero Of The Soviet Union"). Cesse de pleurer petit enfant, on sait tous que TDEP c’est aussi de belles surprises et les Américains n’ont pas l’intention de les oublier. D’ailleurs c’est une brouette… non… un conteneur de surprises et de petites perles que l’on trouve. "One Of Us Is The Killer" avec sa voix haut perchée, de tendres guitares et une batterie aux passages plus rock, de belles mélodies en somme pour un titre reposant sans être dans l’excès du "trop mou". Dans le même état d’esprit, nous avons "Nothing’s Funny", un peu plus pêchu tout de même avec quelques moments lourds. On met notre tête entre les mains de la folie avec "Understanding Decay" et "Paranoia Shields" vient y ajouter une pression supplémentaire avec ses roulements de batterie et ses murmures pesants. Il y a de la friture sur la piste "CH 375 268 277 ARS", mais le groupe rétablit l’ordre (ou son contraire) en nous balançant une vague instrumentale destructrice à la tronche, sans aucun avertissement. TDEP ne nous lâche jamais, c’est un peu comme quand une oie vous a chopé la cheville (ça change des pitbulls), elle ne vous lâche plus, en tout cas elle fera tout pour vous la choper à nouveau – "Magic That I Held Your Prisoner" – qui malheureusement s’achève un peu brutalement. Vient alors l’heure du cirque, glauque, triste, déjanté… un pétage de plombs dans tous les sens du terme intitulé "Crossburner".
Le tout s’achève (ben oui il faut bien que ça arrive un jour), sur "The Thread Posed By Nuclear Weapons", un festival de couleur, un vrai feu d’artifice. On garde toujours le meilleur pour la fin ! Un album qui devrait être vendu avec sa camisole de force et un avertissement concernant les dangers pour la santé mentale (voire physique) de l’auditeur. La flamme ne grandit plus mais elle ne cesse de briller et le groupe sait toujours dans quel sens nous brosser le poil. J’ai envie de dire… à dans trois ans !
"Option Paralysis"
Note : 18/20
Cette sortie était attendue parce que le précédent album "Ire Works" était un réel petit bijou. Nous voici trois ans plus tard et The Dillinger Escape Plan nous pond sa nouvelle bombe, de quoi ravir tous les mordus de mathcore. Place aux hostilités. Ça commence presque comme un album de rock basique sauf qu'au bout de trois accords seulement on a l'impression que l'album a été piégé tellement le son explose d'un seul coup. Décidément TDEP nous surprendra toujours et c'est donc "Farewell, Mona Lisa" qui nous fait plonger dans l'album. Les cinq musiciens nous rappellent en un seul titre ce pourquoi on les aime, des gratteux au doigté infatigable, un batteur sauvage, un bassiste qui mène la danse et une voix toujours aussi admirable. Ça envoie du pâté mais pas seulement, car de belles accalmies nous sont accordées permettant d'accentuer le contraste avec les passages déjantés et de mettre en valeur le grain de voix si particulier de Greg Puciato !
Et ça repart de plus belle avec "Good Neighbor", où, après un plan typiquement mathcore, le groupe s'adonne à quelque chose d'un peu plus dansant au rythme presque punk avec juste avant, les bruits d'une foule en délire. Ça donne envie de sauter tout seul, à vous de voir si vous y résisterez. Je ne sais pas quel instrument à cordes les musiciens nous on encore dénicher là (un ukulélé peut-être?), mais l'introduction de "Gold Theeth On A Bum" en fera sourire plus d'un quand on connaît la violence de ce que peut dégager le groupe en concert. Le riff qui suit, appuyé par les cris si bien maîtrisés de Greg, est tout simplement énormissime, et je pèse mes mots. On sent la puissance de la production, rien à redire au niveau du son. On comprend le besoin du groupe de pousser encore plus loin le travail que les musiciens avaient effectué sur le précédent opus, ne pas hésiter à incorporer de belles mélodies vocales sur des parties musicales d'avantage compréhensible pour l'auditeur. Ça reste du mathcore mais avec des contrastes aussi flagrant que le blanc et le noir et le résultat n'en est que plus réussi. Bam ! Bam ! Bam ! C'est "Crystal Morning" qui commence pour deux petites minutes intenses d'une musique qui ferait presque penser à du "power violence". L'épopée se poursuit avec "Endless Endings", ça commence comme un TDEP habituel pour arriver à quelque chose de totalement nouveau avec des roulements à la pelle agrémentés de solos de guitares extravagants saupoudrés d'une voix douce. Que c'est agréable d'être surpris ! Et les surprises ne s'arrêtent pas là ! Le groupe signe le premier slow pour coreux (enfin presque) avec "Widower" ! Un piano remplace les guitares qui ne feront leur apparition qu'au milieu du titre avec une belle montée en puissance pour retomber sur un piano très jazz. On s'attend à ce que le titre s'achève ainsi, mais ça serait mal connaître les énergumènes qui redonnent le pouvoir aux grattes et aux cris pour les 10 dernière secondes ! Il ne faut quand même pas déconner ! Rien de particulier à signaler concernant les deux morceaux suivants que sont "Room Full Of Eyes" et "Chinese Whispers" malgré quelques bons riffs. "I Wouldn't If You Didn't" prend la relève, on notera notamment un retour du piano au milieu du titre, un très beau passage en somme, même s'il sera anéanti par du Dillinger pur et dur. "Parasitic Twins", dernier morceau de cet album, planant, oppressant, tragique. Une performance surprenante mais réussie de la part des Américains et notamment de Mr Puciato qui donne déjà ses lettres de noblesse à un album encore tout chaud.
Cet album je pense, en surprendra plus d'un mais ne devrait décevoir personne. On sent sur cet album des envies qui se mêlent, entre nous offrir ce que l'on attend d'eux tout en voulant nous apporter un son neuf. Le pari est réussi et ce CD va vite devenir indispensable. Malgré un côté mathcore très prononcé cet album est abordable mais n'est pas pour autant à mettre à la portée de toutes les oreilles…
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