
"Anthronomicon" / "Helionomicon"
Note : 16/20 / Note : 17/20
Note moyenne : 16/20
La formation américaine Ulthar revient cette année pour nous servir non pas un mais deux albums, intitulés "Anthronomicon" et "Helionomicon", rien qu’à travers les titres on comprend assez aisément qu’il serait assez obsolète de traiter les albums comme deux entités fondamentalement différentes et qu’il conviendrait mieux de considérer le tout comme deux parties d’un ensemble formant une œuvre complète, les deux parties se caractérisant par leurs différences et leur similarités, faisant parfois écho l’une à l’autre, tout en conservant un caractère qui leur est propre.
La première chose que l’on peut remarquer dans cette dualité correspond aux titres des albums, qui sont assez évocateurs : d’un côté on a "Anthronomicon", étant clairement centré sur un point de vue très humain des choses, là où "Helionomicon" représentera plus la réalité cosmique dans toute son immensité. C’est d’ailleurs identifiable à travers la structure des albums, le premier comportant huit morceaux d’environ cinq minutes chacun pouvant représenter un bon nombre de concepts et idées bien humaines toutes fourmillantes à travers des riffs puissants et rapides la plupart du temps. D’un autre côté, le second se présente avec seulement deux morceaux d’une vingtaine de minutes beaucoup plus lourds et denses représentant plutôt le cosmos d’un point de vue omniscient.
Les artworks des albums suggèrent d’ailleurs quelque chose de similaire, les deux reprenant les mêmes éléments mais les orientant de façon différente. On a en effet la pochette d’"Anthronomicon" qui semble être orientée comme pour représenter un plan en contre plongée qui va suggérer un point de vue humain, se sentant largement inferieur et minuscule face l’immensité et les proportions démentes de la scène à laquelle il a affaire. D’un autre côté, sur "Helionomicon", cette même scène semble être perçue depuis un point de vue beaucoup plus neutre, comme placée au centre avec une vision beaucoup plus globale dans laquelle les entités et les édifices paraissent tout aussi imposants mais beaucoup moins dominants. La combinaison des deux artworkq forme un tout cohérent qui est en fait une seule œuvre mais même lorsqu’on la contemple de cette façon, il est toujours possible de constater cette dissonance au sein de l’image.
Mais assez divagué autour des concepts de l’album, il est temps de passer à la musique en elle-même. S’il est bien évidemment impossible de dissocier les deux albums, il est tout de même important de les écouter comme deux œuvres distinctes l’une de l’autre afin de mieux cerner ce qui les rassemble et les différencie.
Tout d’abord on a "Anthronomicon", album qui va nous proposer tout un panel de morceaux et va justement aller jouer sur ce domaine de l’immensité et du surnombre pour nous submerger d’informations en termes de compositions et d’ambiances afin de nous immerger le plus possible dans le chaos. Cela va tout d’abord se traduire par la présence de plusieurs types de chants. On aura en effet d’une part un chant cassé et éraillé et un autre qui sera plus sur des tonalités lourdes et caverneuses, cette diversité pouvant servir un bestiaire varié mais toujours menaçant et imposant.
La partie instrumentale n’est pas non plus en reste par rapport à ce schéma, nous proposant souvent des suites de plusieurs notes jouées très rapidement et venant couper les riffs à plusieurs reprises, ce qui donne une véritable impression de chaos avec un nouvel élément qui vient s’introduire à chaque fois, ce qui va être particulièrement identifiable dans "Flesh Propulsion" qui va d’ailleurs se donner des airs presque technical death metal notamment avec une basse largement mise en avant dans ce morceau et proposant des lignes techniques et efficaces. On aura également des riffs qui tourneront comme une sorte de spirale infernale entrecoupés par des sessions plus rapides et incisives avec un blast impactant et rapide, comme on peut l’entendre dans "Cephalophore" morceau qui va venir ouvrir l’album et poser l’ambiance directement.
Cependant, le groupe ne se contente pas de distiller ce genre d’ambiance tout du long de l’album en pensant que cela sera satisfaisant et nous offre une superbe diversité de sonorités, de tonalités et de rythmes, tout ceci dépeignant parfaitement entités et structures innommables et vertigineuses. On verra par exemple dès le deuxième morceau, "Fractionnal Fortress", arriver une musique beaucoup plus monolithique et beaucoup moins organique, notamment à travers un passage mid-tempo qui présente quelque chose de plus grandiose et imposant mais le tout toujours avec ces sonorités donnant une impression très labyrinthique de ce qui se dresse face à nous.
On aura également affaire à des passages plus aériens et même ambiants dans les intros et outros de certains morceaux comme "Saccade" et "Flesh Propulsion", ces derniers proposent cependant toujours des rythmes lents et insidieux qui permettent de laisser planer un certains malaise et une menace imminente même sur ces moments de calme apparent. De plus, toujours dans le morceau "Saccade", on est également témoin de l’un de ces passages plus légers, mais qui viendra se faire immédiatement détruire par un déchaînement instrumental beaucoup plus lourd accompagné par un chant qui se fait encore plus caverneux et étouffé.
Le dernier tiers de l’album s’inscrit dans la continuité direct de ce qui est mis en place depuis le début, proposant une ambiance progressive qui semble se diriger vers un apex à grands coups de riffs destructeurs, de plus, le morceau "Coagulation Of Forms" proposera même un break marqué par un larsen avant d’enchaîner sur une suite de notes très rapides comme pour illustrer l’apparition d’un nombre grandissant d’entités protéiformes qui vont nous submerger à travers un trémolo urgent et un blast incessant bien que paradoxalement moins lourd et épais que précédemment. Par la suite, le dernier morceau, "Cultus Quadrivium", propose des accords percutants qui attaquent avec puissance et sont contrebalancés parfaitement par des notes plus légères ensuite, ce qui décuple leur puissance. On enregistre de plus un tempo général qui se fait plus lent avant d’arriver sur une fin d’album qui se fait sur un long passage calme, comme figé dans le temps au sein d’une brume épaisse, puis un retour progressif des instruments mais toujours mixés très bas, comme annonçant le début d’une deuxième vague de cette folie qui sera illustrée à travers l’album "Helionomicon".
"Helionomicon" est donc le deuxième album sorti par Ulthar et se vient compléter le précédent tout autant qu’il s’en détache, en apportant une vision bien différente d’un même scène. L’album se veut beaucoup plus dense en proposant deux titres seulement pour pratiquement la même durée totale qu’"Anthronomicon". Cette densité se ressent non seulement à travers cela mais également à travers des apports à la musique qui, si elle peut tout d’abord sembler similaire d’un album à l’autre, comporte des éléments en plus qui vont permettre à cet album de se démarquer et de ne pas simplement se poser comme une redite du premier.
Cela peut se ressentir dans les toutes premières secondes où, contrairement au début de "Cephalophore" qui attaquait directement et sans concession avec des riffs urgents et dynamiques, "Helionomicon", morceau qui vient débuter ce second album, prend le temps de poser une brève introduction calme avant de la couper brutalement pour enchaîner sur un déferlement instrumental. De plus, si on retrouve bien les mêmes procédés instrumentaux que sur "Anthronomicon", on remarquera cependant qu’ils sont déployés et transmis à travers une production plus épurée et moins lourde qui va sonner plus mécanique et propre et parfois même rappeler, lors des passages mid-tempo, des sonorités que l’on peut retrouver dans les albums récents de Cannibal Corpse. Le tout va continuer de bien représenter le chaos ambiant et tout ce qui se déroule, mais d’un point de vue plus neutre et omniscient duquel on se sent largement moins écrasé par l’immensité et la puissance de tout ce qui survient. De même, en termes de chant, on ne sera pas cette fois sur une multitude de chants qui vont intervenir les uns après les autres mais cette fois une superposition de chants qui vient à nouveau donner cette impression de vue d’ensemble qui semble être la ligne directrice de cet album.
De plus, les passages calmes sont coupés moins brutalement et semblent dépourvus de toute l’urgence qui pouvait être perçue auparavant au profit d’un point de vue qui semble plus être celui d’un témoin de cette scène qui se déroule, avec notamment cette impression de faire face à un labyrinthe mais sans y être perdu cette fois, le tout mis en valeur par un long passage calme dans le premier morceau qui viendra être interrompu par un enchaînement de notes décousues pourtant pas incohérent.
La deuxième moitié de l’album qui porte sur le morceau "Anthronomicon" va ajouter aux composition classiques de Ulthar des éléments allant du côté de la noise en plein milieu du morceau qui n’est pas sans rappeler un certain "Hagbulbia" de Portal qui était également un album sorti en parallèle d’un autre, "Avow". Le tout vient refléter un calme inquiétant et parfaitement insidieux qui provoque une angoisse tout à fait oppressante et qui sera sublimée par la fin du morceau et de l’album qui va se composer de bruits totalement inhumains et difficilement audibles, semblant être à la limite entre l’organique et le mécanique et venant une ultime fois défier notre compréhension d’un univers que l’on pensait pourtant dominer sur cet "Helionomicon".
C’est donc à travers deux albums semblant aux premiers abords similaires, mais en fait forts de certaines différences particulièrement remarquables qu’Ulthar nous sert un tableau que l’on peut admirer sous différents angles. Si l’auditeur ne sera jamais perdu ou complètement déconcerté face à la musique qui est proposé, le concept ainsi que les dynamiques de progression d’ambiances, le tout servi par un chant et des instruments extrêmement bien maîtrisés sauront convaincre dans tous les cas et apporter une superbe pierre à l’édifice qui constitue la scène blackened death metal. Si le premier album nous propulse dans un protagoniste complètement dépassé par ce qu’il voit, le second vient nous placer dans un point de vue plus omniscient dans un premier temps, simplement pour nous rappeler à la fin que personne ne détient vraiment tous les secrets d’un cosmos infini en nous replongeant dans des ambiances angoissantes et pesantes, ce qui constitue un véritable twist musical qui est absolument bien pensé et bienvenu.
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