Interview faite par mail par Vince

Bonjour Abduction ! Tout d’abord merci de nous accorder un peu de votre temps, une petite question afin de se mettre en jambes, comment-allez-vous ?
François Blanc  (chant) : Tout le plaisir est pour nous ! Nous allons très bien. Le fait d’enfin publier notre premier album après une longue (et parfois éprouvante) gestation suscite en nous un sentiment d’accomplissement. Et le fait que la majorité des premiers retours sur notre disque soit positive nous fait vraiment plaisir !

Pour les lecteurs de French Metal qui ne vous connaissent pas encore, pourriez-vous présenter le groupe ?
Mathieu Taverne (basse) : ABDUCTION est né en 2006, fondé par Guillaume, qui compose et dirige l'ensemble du processus créatif. Morgan et moi avons rejoint le groupe aux alentours de 2008, François nous rejoignant quelques temps après la sortie de notre démo en octobre 2010, remplaçant ainsi notre ancien chanteur, un autre Guillaume qui intervient d'ailleurs sur cet album en guest. Nous pratiquons un black metal automnal, étiquette qui nous a paru le mieux convenir pour décrire notre style actuel. Notre premier album est sorti le 28 Octobre sur Finisterian Dead End.

Comment définiriez-vous le style d’Abduction ?
François : Si je devais présenter la musique du groupe à quelqu’un qui ne nous connaît pas encore, je dirais que nous pratiquons un black metal intense et mélancolique, avec une alternance constante entre parties claires et riffs électriques, et chant clair et chant extrême. Je ne suis pas certain que l’étiquette "progressive" s’applique réellement à notre musique, mais il est vrai que nos morceaux sont longs et variés, avec de nombreux changements d’intensité, des ruptures franches et un grand nombre de variations rythmiques. Même si nous mettons beaucoup l’accent sur l’ambiance, nous n’utilisons aucun clavier ; toutes les mélodies viennent des guitares, de la basse et du chant, et je trouve que ce parti-pris sert réellement notre musique.
Mathieu  : A noter pour compléter François que nous privilégions le chant en français, ce qui nous semble naturel dans notre démarche, et que notre envie de pratiquer un metal automnal nous autorise beaucoup de thèmes variés, allant de l'histoire à l'allégorie, en passant par des sujets plus conceptuels (comme le titre éponyme).

Comment s’est passée la signature avec Finisterian Dead End dont le manager, Laurent, fonctionne au coup de coeur  ?
François : Cela fait quelques temps que nous avons ce label sur notre radar. En tant que fan de doom, j’ai récemment adoré les albums de Ixion et de Stangala (publiés par Finisterian Dead End), et pour avoir échangé avec Laurent par le passé, j’ai pu constater qu’il bossait sérieusement et s’impliquait énormément pour faire vivre son label et défendre ses groupes. J’ai donc suggéré à mes comparses de soumettre "Une Ombre Régit Les Ombres" à Laurent, qui l’a fait tourner à maintes reprises avant de revenir vers nous et de nous proposer une collaboration. Guillaume et moi l’avons rencontré au Hellfest et le long entretien que nous avons eu alors a confirmé toutes les (très) bonnes choses que nous avions entendues à son sujet. C’est un plaisir que de bosser avec lui, car c’est un véritable passionné qui ne nous impose rien et respecte absolument tous nos choix. Notre album est définitivement en de bonnes mains !

"Une Ombre Régit Les Ombres" est sorti depuis quelques temps, comment est-il accueilli par la presse spécialisée ?
François : Si quelques chroniqueurs, notamment sur Internet, nous ont reproché nos transitions rudes et ont été décontenancés par la longueur de nos morceaux, les premières chroniques sont majoritairement positives. J’ai le sentiment que notre démarche est plutôt bien perçue, et que l’univers d’ABDUCTION exerce un certain attrait sur les gens qui le découvrent. A titre personnel, je ne savais pas trop ce que les chroniqueurs diraient de ma prestation, car Guillaume m’a poussé à sortir de mes habitudes vocales et à utiliser d’autres registres que ceux que j’utilise chez Angellore, mon autre projet. Mais globalement, les avis sur le chant sont positifs et c’est un soulagement pour moi car je tiens vraiment à faire honneur à nos compositions !

L'album bénéficie d'un très beau visuel, l’édition digipack est très soignée avec par exemple de très belles photographies, à qui devons-nous le travail de création ?
Mathieu  : L'avant du digipack reprend le tableau de Van Gogh "l'église d'Auvers-sur-Oise", aux couleurs et textures modifiées par Nicolas, l'éminence grise technique derrière l'ensemble du visuel de l'album. L'arrière est un tableau réalisé par Franck, un ami de Guillaume. Quant aux photos, elles sont l'oeuvre de Manu Wino, photographe professionnel, qui a accepté de venir subir la froide humidité rouennaise pour réaliser des clichés dans un ancien cimetière de pestiférés, l'aître Saint Maclou. L'ensemble des illustrations et des textes ont été réalisés à la main par Guillaume ou moi, Guillaume ayant les idées et le dernier mot sur chaque aspect du visuel. Nous avons tentés de créer une cohérence entre le visuel, la musique, et les paroles, en restant dans des teintes automnales et des illustrations sobres mais marquantes.



Peut-on dire que les ambiances sombres et obscures font partie intégrante du monde et de l’univers d’Abduction ?
François  : Oui, c’est certain. Au sein du groupe, nous partageons ce goût pour les émotions fortes et les ambiances sombres. Nous portons un regard quelque peu désabusé sur notre époque, et le concept même du groupe repose sur la fuite inéluctable du temps et l’exaltation d’un passé révolu. Il faut avouer que ce n’est pas bien gai… Mais cela colle parfaitement avec notre musique. Il y a une réelle adéquation entre nos textes, visuels et mélodies.
Mathieu  : Pour rebondir sur ce que dit François, le regard désabusé dont il parle se nourrit aussi de notre passion pour l'Histoire de France, qui présente des visages contrastés, un chemin accidenté avec ses moments de gloire et de désespoir qui mènent jusqu'à notre présent. Une dualité qui se retrouve dans notre musique, du moins nous l'espérons, et qui, en effet, se traduit par un aspect sombre, peut être même pessimiste, mais avec des rayons de soleil qui percent parfois la chape de plomb.

"Une Ombre Régit Les Ombres" dure plus de cinquante minutes pour six titres, un titre comme le très bon "Naphtalia" dépasse même les douze minutes. Peut-on dire que vous appréciez écrire et composer de longs morceaux ?
François : Oui, même si je pense que c’est le fruit d’une démarche naturelle. Le fait d’opter pour des formats longs nous permet d’immerger plus facilement les auditeurs dans notre univers. Personnellement, je ressens chaque titre comme une histoire pleine de rebondissements. C’est notamment le cas sur "Sainte-Chimère", où les variations mélodiques et d’intensité collent à l’histoire racontée par les paroles. Je ne dis pas que cela n’arrivera jamais, mais à ce stade, j’ai beaucoup de mal à me représenter un morceau d’ABDUCTION qui ne dépasserait pas les cinq minutes !

Le terme Abduction possède plusieurs significations en langue française ou étrangère, nous expliquer le nom du groupe est-il un secret ou pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Mathieu : Même si le sens ufologique nous fait sourire, et vient immédiatement à l'esprit dès que le mot est prononcé évidemment, nous retenons le sens plus rare et littéraire "d'enlèvement de l'âme". En le découvrant, Guillaume l'a beaucoup apprécié, et l'a adopté. Ce n'est pas vraiment un secret pour nous, et c'est même mieux de pouvoir l'expliciter dès le départ, car la confusion est très facile. Si l'on veut poursuivre la métaphore plus loin, nous espérons créer une musique suffisamment captivante pour amener l'auditeur dans notre "univers". Une manière de raccorder ce sens du mot avec ce que nous faisons.

Est-ce qu’en dehors d’Abduction vous avez d’autres projets musicaux ?
François : Je fais partie d’un groupe de doom metal mélodique nommé Angellore, qui a déjà publié deux albums et prépare actuellement son troisième opus. Musicalement, c’est assez éloigné d’ABDUCTION, même si les deux groupes partagent une même vision de la musique : nous aimons les morceaux longs, qui accordent une large part aux émotions et aux atmosphères, et qui ne cherchent absolument pas à se conformer aux standards et aux "modes" du metal actuel. Ces deux projets puisent principalement leurs références musicales dans la scène metal extrême et dark des années 90.

Avez-vous des projets de concerts ?
Mathieu : Très certainement. Cependant, avant d'envisager tout projet de dates, il nous faut parvenir à répéter tout un set sérieusement de manière à présenter au mieux notre musique sur scène, à la fois musicalement et visuellement. Notamment dans la mesure où les morceaux sont longs et peuvent s'avérer techniques. L'éloignement géographique entre nous n'aide pas forcément même si nous tâchons de remédier à cela. Qui plus est, nous ne sommes pas dans une logique de groupe professionnel tendant à partir régulièrement en tournées afin de pouvoir vivre de la musique. Nous voyons les concerts comme des moments particuliers, à préparer soigneusement pour mieux marquer, afin de les rendre mémorables, quitte à les espacer et prendre le temps de choisir des lieux atypiques. Disons que la composition reste prioritaire, mais nous avons tous l'envie de montrer sur scène une nouvelle facette de nos morceaux.

Comment voyez-vous Abduction dans dix ans ?
François  : Même s’il m’est impossible d’imaginer une direction précise, je suis sûr que nous serons toujours là et que notre musique aura évolué. Elle sera peut-être plus atmosphérique, un peu moins agressive.
Mathieu  : Je partage l'avis de François, la musique aura certainement évolué, même si je m'attends à ce qu'on puisse facilement naviguer entre nos différentes "périodes", selon les idées, les envies, ou le projet du moment.

Qu’écoutez-vous comme musique (à la maison, en voiture, dans un baladeur CD, minidisc, MP3) ? Qu’est-ce qui vous influence (littérature, cinéma, poésie, nature....) ?
François  : Personnellement, j’écoute très majoritairement du metal : black, doom, heavy, folk, viking, metal symphonique, avant-garde… Mais aussi de la new age et de la musique électronique, ou bien du folk triste. J’aime les groupes qui manient les atmosphères. Une composition me séduit si elle me permet de m’évader, d’oublier complètement le réel. La beauté de la nature, la peinture romantique et la littérature du XIXème siècle (surtout les courants naturalistes et fantastiques) m’influencent sans doute inconsciemment. J’y puise de quoi nourrir mes obsessions, que j’essaie ensuite de retranscrire en musique.
Mathieu : Concernant les influences, nous mettons en avant principalement Dissection, Primordial et Opeth, pour la musique, même si nous pensons parvenir à nous en détacher sur de nombreux points. Cela dit, nous écoutons tous beaucoup de styles différents, souvent très éloignés du metal, ce qui peut nous influencer subtilement dans la manière de composer et nous aider à sortir des sentiers battus. Je pense notamment à la batterie de Morgan, qui se renouvelle constamment, et qui lie organiquement nos morceaux. Pour les textes, Guillaume et moi aimons beaucoup les auteurs du XIXème et début XXème, romanciers, poètes, ou témoins de leur temps. Mais plus que leurs thématiques, c'est la qualité de la langue, qui trouve là ses plus grands sommets, aujourd'hui inaccessibles, qui nous pousse en avant.

A ce sujet, des groupes à conseiller aux lecteurs de French Metal, un lieu peut-être également ?
François : J’ai en tête une formation islandaise dont le caractère sombre, archaïque et aventureux pourrait parler aux amateurs d’ABDUCTION : Arstidir Lifsins. Leur deuxième album contient d’excellents titres, très personnels et émouvants.
Mathieu : Nous pourrions conseiller beaucoup de groupes français, à vrai dire. Des formations comme Belenos, Hypno5e ou Darkenhöld, notamment, montrent une qualité française qui n'a rien à envier aux autres pays. Et un sacré sens de la composition et de l'atmosphère qui force le respect.



Dans la vie, avez-vous des choses qui vous attirent (hobbies, passions) ou au contraire des choses qui vous rebutent ?
François  : Franchement, qui n’en a pas ? Pour ma part, la musique est ma passion, et la littérature (notamment la bande-dessinées) arrive juste derrière. Et pas mal de choses me rebutent, à commencer par la dictature du politiquement correct qui gangrène trop souvent les rapports humains dans notre société contemporaine et étouffe toute tentative de réel débat. Sous couvert de prôner une totale liberté, beaucoup de gens font preuve d’une irrépressible aversion envers ceux qui osent émettre un avis différent du leur. Personnellement, cela m’affecte et m’attriste beaucoup.
Mathieu  : Je cultive une addiction pour le thé et une répulsion pour le popcorn.

Avez-vous une ou deux anecdotes concernant Abduction à narrer, à partager avec les lecteurs de French Metal ?
Mathieu : Il s’est passé beaucoup de choses durant la conception de cet album, plusieurs frôlant souvent le surréel ! Mais l’anecdote la plus marquante reste probablement le fait que François ait tant donné de lui-même pour hurler les "Naphtalia" qui concluent le titre du même nom qu’il en a presque perdu connaissance. Ce sont bien évidemment les prises que nous avons conservées sur l’album, celles-ci étant les plus sincères qu’il soit possible de proposer !

Mais au fait, comment expliqueriez-vous le terme de black metal automnal ? Avez-vous une attirance particulière pour cette saison ?
François : Il est clair que l’automne, ses paysages flamboyants et mélancoliques nous fascine. C’est la saison du changement, des jours qui raccourcissent. Cela colle bien avec l’impression confuse de "fin des temps" que nous ressentons parfois. ABDUCTION s’efforce, à travers sa musique, de dépeindre une vision d’automne. C’est assez difficile à expliquer, et pourtant très évident pour nous !
Mathieu  : C'est le moment de l'année où l'inspiration vient le plus facilement pour nous, d'une simple flânerie dans un parc ou une forêt à une lecture prenante. Avec un temps aussi changeant, avec autant de contrastes et de nuances, tout prend un relief particulier et des teintes que l'on ne retrouve pas le reste de l'année. Beaucoup de mélancolie, de phases calmes et violentes, en bref une saison à fleur de peau. Et vient ensuite toute la symbolique dont parle très bien François. Je me permets de préciser que nous nous considérons comme très chanceux d'avoir pu sortir l'album durant cette période, nous n'aurions pas rêvé mieux.

Abduction a t-il un antre, un repère où le groupe se réunit pour écrire, composer, répéter ?
Mathieu : Nous nous retrouvons principalement chez Guillaume, à Versailles, car c'est le plus pratique au niveau des distances à parcourir pour chacun de nous. Qui plus est la ville est très agréable, si on laisse de côté les hordes de touristes visitant le château et son parc. Certains de ses quartiers semblent hors du temps, ce qui met dans de bonnes conditions pour composer et écrire. Parfois Guillaume vient à Rouen afin que l'on se penche plus précisément sur les paroles. La ville conserve une aura médiévale en certaines de ses rues, malgré la modernité qui vient se greffer par dessus, ce qui nous donne de la matière à réflexion pour les textes.

Où est comment peut-on se procurer votre album ? Un site Internet, une page Facebook ou autre ?
Mathieu : L'album est disponible sur le site du label, également sur l’ensemble des sites de téléchargement. Il est distribué en France par Season Of Mist, et peut donc se trouver dans certaines grandes enseignes. Pour suivre l'actualité du groupe, vous pouvez nous retrouver sur notre site officiel crée par notre ami Nicolas, ou sur notre page Facebook. A noter qu'une vidéo, elle aussi réalisée par Nicolas, est disponible sur ces pages pour se faire une idée de notre musique.

Nous voici arrivé à la fin de cette interview, il ne me reste plus qu’à vous remercier, à vous souhaiter bonne route. Je vous laisse le traditionnel mot de la fin. A bientôt !
Mathieu  : Merci pour vos questions très intéressantes, et au plaisir de partager davantage avec ceux que l'album intéresserait !


Le site officiel : www.abduction.fr