Interview faite par mail par Matthieu

Quelques questions à Tom Blaineau, guitariste du projet Remains Of Morpheus, sur la sortie du deuxième et dernier album du groupe.

Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Sans utiliser les étiquettes metal habituelles, telles que “post-metal”, “progressive metal” ou autres, comment pourrais-tu décrire le groupe Remains Of Morpheus ?

Tom Blaineau (guitare) : C'est toujours difficile de définir notre groupe. Hier encore, un média nous a qualifiés de mélange de math rock et de rock atmosphérique, et ça colle aussi (rires) ! Plutôt que de parler de style, je préfère évoquer nos constantes créatives : créer des univers et des atmosphères. C'est sans doute pour ça qu'on nous associe souvent à du "cinématographique". Même si notre musique est expérimentale, on privilégie la dimension cathartique plutôt que la technicité. On essaye d’obtenir une certaine richesse émotionnelle tout en gardant une composition brute, presque instinctive. Et bien sûr on adore écrire aussi des gros riffs juste pour faire bouger les nuques.

Comment relies-tu personnellement le nom Remains Of Morpheus à la musique du groupe ? Comment ce nom a-t-il évolué au fil du temps ?
Au début, comme beaucoup de groupes, on s’était donné un nom à l’image de notre musique, pour l’illustrer. On s’appelait la "Baleine à Plumes". Une sorte de version animale et française de "Led Zeppelin" (rires). Mais en créant le premier album et ses morceaux, on a eu envie d’aller plus loin et de trouver un concept autour duquel puiser notre inspiration. On s’est tous entendu sur le monde du rêve, des cauchemars. Ce sont les reflets directs de nos peurs, nos blessures profondes, nos angoisses, tant d’émotions qu'on n'ose pas traiter au quotidien, qui pourtant sont au coeur de nos vies, individuelles et collectives. Mais les rêves c’est aussi l’endroit où l’on peut se reposer, s’évader d’un quotidien douloureux ou monotone, revoir des proches qui nous ont quittés, essayer de nouvelles choses. Notre musique, qui explore des émotions profondes et intenses, pour moi s’y rattache bien. Le nom REMAINS OF MORPHEUS fait référence à cet entre-deux entre le réel et l’abstrait, à l’idée du rêve et de ses différentes dimensions. C’est devenu un des fils conducteurs de notre musique, qui est maintenant plus terre à terre qu’au début, où l’on était plus dans l’onirisme et la science-fiction. On a vieilli quoi. (rires)

Votre deuxième et dernier album, "Remains Of Morpheus", est sur le point de sortir. Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as déjà eu des retours à son sujet ? singulier, qui ne me laisse pas indifférent.
Pour être sincère, je me sens à la fois excité et très nostalgique. J’adore cet album et j’en suis fier. On a vraiment mis tout notre coeur et notre travail pour créer quelque chose de qualité, et les premiers retours sont super positifs. Ça me motive encore plus à le faire découvrir au plus grand nombre. Mais je sais aussi que l’accouchement de cet album et son partage aux oreilles extérieures marquent vraiment la fin du groupe. Malgré une fin épuisante pour tous, neuf ans d’existence et de musique avec des gens, ça représente une grosse page à tourner. C’est un sentiment assez singulier, qui ne me laisse pas indifférent.

Comment résumerais-tu Remains Of Morpheus en trois mots ?
Je dirais… Authentique, intense et libérateur. Me demande pas pourquoi. (rires)



L’album "Remains Of Morpheus" sort donc début 2025, pourquoi avoir choisi ce nom pour l’album et que signifie-t-il ?
A la base la raison est très simple, c’est notre dernier album, c’est donc tout ce qui reste de nous et qui nous définit le mieux, donc donner un nom éponyme à l’album avait du sens pour clôturer l’histoire du groupe. Avec le temps, ce nom a pris un autre sens pour moi. Aujourd'hui, il incarne bien plus que l'idée de rêves éphémères. La création de cet album a traversé de nombreux moments difficiles au sein du groupe, mais aussi des instants de joie et de complicité. Chaque écoute me ramène à ces souvenirs et émotions, mêlant défis et moments précieux, à la fois professionnels et personnels. Le terme "vestiges" prend aujourd'hui tout son sens, devenant le reflet de notre histoire et d’une part profonde de ma propre vie.


"Remains Of Morpheus" est relativement différent de "XXI Parallels", as-tu observé des changements ou des évolutions entre les deux albums ? Comment pourrais-tu décrire les principales évolutions du processus créatif et des influences ?
Je pense tout simplement que nous avons beaucoup évolué en tant que personnes entre le premier album et celui-ci. Que ce soit au niveau de notre technique, de nos goûts, de notre culture, mais aussi de nos vies, nos expériences, etc… nous sommes arrivés beaucoup plus chargés pour celui-ci. Ça se ressent dans la musique je trouve. Nous avons aussi beaucoup plus poussé la phase d’arrangement et utilisé l’enregistrement en studio à son maximum, contrairement au premier album, qui était plus live. Travailler avec Fabien Guilloteau sur la production de l'album nous a apporté un regard très enrichissant. Il a fait un travail remarquable en sublimant notre son et notre esthétique, en posant les bonnes questions et en trouvant une grande partie des bonnes réponses, (rires)

Concernant vos influences, elles sont parfois très éloignées : vous citez autant Dub Trio / La Jungle que Russian Circles, Meshuggah ou Code Orange. Comment arrivez-vous à faire cohabiter toute cette diversité au sein d’un même album, et même parfois d’un même morceau ?
La cohabitation a été possible parce qu'elle n’a jamais été forcée à aucun moment. On écoute tous beaucoup de musiques très différentes, et ça nous permet de créer une palette de choix artistiques presque infinie. Avec les bonnes décisions d’arrangement, je suis persuadé que toutes les idées peuvent cohabiter ou se mélanger. Pour résumer, je pense que ce travail se fait en amont, dans la vie de chacun. Il y a une interview de Rick Rubin où il en parle : plus tu écoutes de musique, plus ton oreille s’affine, plus tu sais ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas, et tu comprends pourquoi. Une fois dans le processus créatif, tu peux arrêter de réfléchir et juste faire confiance à ce que te disent ton coeur et tes oreilles. Je n'en avais pas conscience avant d’entendre cette idée, mais je pense que c’est exactement ce qui s’est passé pour nous.

Le groupe a annoncé que "Remains Of Morpheus" serait son dernier album, pourquoi ce choix ? Allez-vous continuer à faire de la musique, que ce soit ensemble ou séparément ?
Ce n’était pas vraiment un choix, mais plutôt le résultat d’une série de facteurs. Au début de l’enregistrement, nous étions tous animés par une grande ambition et avons investi toute notre énergie et notre sérieux dans ce projet. Cependant, le rythme, la pression, la fatigue et les divergences, qui avaient souvent été une force, ont fini par creuser des écarts entre nous difficiles à combler. Au fil du temps, il est devenu évident que l’élan nécessaire pour continuer ensemble n’était plus au rendez-vous. Ce moment a marqué la fin d’un cycle pour le groupe. Au départ, j’ai vu cela comme un échec, mais avec du recul, je réalise que c’était une évolution naturelle et qui m’était nécessaire : parfois, il faut accepter qu’un chapitre se termine et laisser la vie suivre son cours.

L’artwork du précédent album était déjà assez minimaliste, quelles ont été vos lignes directrices pour celui de "Remains Of Morpheus" ?
C’était en fait déjà le deuxième choix d’artwork pour le premier album. Mais cela ne collait pas du tout avec son concept, alors nous ne l’avions pas sélectionné à l’époque. Cette fois-ci, au moment de faire un choix, cette image est revenue assez vite dans la conversation, et tout le monde a été d’accord. C’est une photo de mon grand-père prise pendant des vacances en famille. Elle m’a toujours fasciné. La photo a été prise de jour, et les contrastes entre la couleur du ciel, de la lune et de la colline donnent un paysage complètement lunaire (la lune a toujours été notre symbole).

Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Effectivement, question compliquée, je les aime tous. (rires) En live, je dirais "Last Parallel". Il est vraiment lourd et puissant, et le (presque) dénouement mélodique qui reprend les idées de Scaphandriac était vraiment trop épique à jouer. (rires) Je pense que c’était mon moment préféré des concerts, donc je vais dire celui-là.

"Remains Of Morpheus" sort en autoproduction, est-ce que c’est une volonté du groupe de faire les choses seul pour cette dernière sortie ?
Ce n’était pas vraiment une volonté, mais plutôt un choix dicté par les circonstances. Lors de l’écriture de l’album, nous avions l’intention de sortir de l’autoproduction et de trouver un label, une agence de promo, un booker… Cela nous aurait permis de financer une partie de l’album et de lui donner une meilleure visibilité. Mais le groupe s’est arrêté avant que nous puissions concrétiser cela. J'envisageais un moment d’investir personnellement pour la promotion, car sortir un album sans visibilité aujourd’hui est un vrai défi. Chaque musicien souhaite que sa musique soit entendue. Mais après réflexion, notamment sur mes priorités de vie et mon budget, j’ai compris qu’il était temps d’accepter la situation. Bien sûr, cela a retardé la sortie de l’album et ajouté des obstacles, et je le regrette. Je ne voulais pas non plus le laisser sortir dans le vide, alors j’ai finalement pris la décision de m’occuper moi-même de la promotion, dans l’espoir de lui offrir, au moins, un minimum de visibilité. Je tiens à te remercier sincèrement, d’ailleurs, pour l’attention que tu portes aux projets indépendants comme le nôtre et de nous aider à donner de la visibilité à notre travail.



Je n’ai malheureusement jamais eu la chance de vous voir à l'oeuvre sur scène, comment se passe un live de Remains Of Morpheus de votre point de vue ? Pensez-vous faire quelques concerts pour terminer l’aventure ?
Personnellement, les concerts de Remains ont toujours été un vrai kiff, mais aussi un grand défi. C’était une musique qui me permettait de mettre beaucoup de mon énergie et de ma personne, ce qui était ultra libérateur. De plus, on avait un son énorme sur scène (merci Benoit Courtel), ce qui me plongeait rapidement dans une sorte de transe. Mais avec tous les changements de pédales à faire toutes les 30 secondes et la complexité de la musique, j’étais vite débordé par mon énergie. Il a fallu apprendre à trouver l’équilibre entre lâcher prise et contrôle. En tout cas j’en garde un souvenir agréable de moments très forts (autant en volume qu’en ressenti (rires)) à faire la musique que j’aime avec mes amis. Et non, il n’y aura pas de nouveaux concerts.

Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels vous auriez aimé collaborer ?
J’ai envie de te citer Russian Circles et Dub Trio, deux gros power trios avec un son bien massif. (rires) Mais ça n'aurait peut-être pas été si pertinent comme collaboration. Avoir Mike Patton poser une voix sur un morceau à nous en revanche aurait été un gros kiff.

Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
Oui, définitivement. C’est clairement l’album dans lequel j’ai investi le plus d’efforts personnels et artistiques jusqu’à maintenant. Ça m’a permis de devenir un meilleur compositeur et un meilleur guitariste. J’ai dû passer des heures à travailler ma main droite pour réussir à jouer correctement certains riffs au tempo qu’on s’était fixés. Il y a aussi eu beaucoup d’apprentissages, notamment sur ce qui a bloqué, que ce soit au niveau de l’organisation, de l’humain, etc. Dans tous les cas, on ressort forcément changé après un album si on s’y est vraiment abandonné corps et âme, et c’est le cas pour moi.

Si tu pouvais organiser un concert d’adieu pour Remains Of Morpheus, quel serait le line-up ? Je te laisse imaginer ta date de rêve (même irréaliste) avec Remains Of Morpheus en ouverture, et trois autres groupes
Les copains de Bewilders et Wheobe, évidemment ! Ce sont les deux groupes avec lesquels on a préféré partager la scène et les backstages. On s’est revus plusieurs fois, même en dehors des concerts pour certains, donc sans hésiter, je les choisirais pour refaire une date. Au passage, allez jeter une oreille à leur musique, ça déchire ! Et pour finir on se met un gros "Meshuggah" histoire de se terminer et rentrer faire un bon dodo. (rires)

Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Remains Of Morpheus ?
Un bibimbap ! Le riz représente la base du groupe, fidèle à lui-même, et autour, chaque ingrédient – légumes, viande, oeuf – c’est nos influences et nos personnalités. On mélange et ça donne quelque chose d’unique et de riche, avec un goût complexe. C’est ce mélange d'éléments différents qui fait toute la richesse de notre musique. La métaphore me plaît. (rires)

C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
J’ai juste envie de laisser parler la musique maintenant. Alors allez écouter ça et n’hésitez pas à nous faire part de vos ressentis, c’est quelque chose qu’on aime toujours entendre. Merci à toi pour l’interview et l’occasion de parler un peu plus de l’album et du groupe. Que l’amour soit avec vous tous !

Retrouvez les membres de REMAINS OF MORPHEUS :
Tom Blaineau (guitare) : linktr.ee/bomtlaineau
Quentin Lefèvre (batterie) : linktr.ee/quentin_lefevre
Titouan Grignoux (basse) : linktr.ee/charlie_grig


Le site officiel : www.facebook.com/rmnsmrphsofficial